La commission Accompagnement et Soutien Juridique du STJV a le plaisir d’annoncer une victoire majeure dans un dossier où elle accompagnait une salariée. Il en a résulté une condamnation à plus de 34 000 € bruts en sa faveur, et une reconnaissance par le tribunal que l’une de nos revendications récurrentes, le statut cadre comme positionnement logique de toute personne travaillant dans le jeu vidéo, s’appliquait bien en l’espèce.
Voilà les détails de cette affaire :
Résumé du litige
La salariée a été engagée le 25 novembre 2020 en qualité d’Artiste Environnement 3D, Statut ETAM, position 2.2 coefficient 310, contre une rémunération brute mensuelle de 1 900 euros.
Par avenant du 30 Octobre 2021, elle a évolué vers des fonctions d’encadrement d’une équipe de 4 personnes (« Lead Level Art ») à compter du 1er novembre 2021, assortie d’une augmentation de salaire à hauteur de 2 300 euros bruts.
En réalité, la salariée occupait, de fait, des fonctions de Lead dès mai 2021, suite au départ de sa supérieure hiérarchique directe (Lead).
Le Conseil de prud’hommes a été saisi notamment d’une demande de reclassification conventionnelle
- en statut Cadre dès l’embauche, position 2.1 du fait de son niveau de diplôme : RNCP 6 (bac + 3 ou 4)
- position 3.2 coefficient 210 à compter du passage au poste de Lead
et du rappel de salaire subséquent.
Décision du Conseil
Le Conseil de prud’hommes nous a donné raison et a jugé que la requérante aurait dû bénéficier des positions
- 2.1 coefficient 100 du 24 novembre 2020 au 24 mai 2021
- 2.1 coefficient 115 du 25 mai 2021 au 31 octobre 2021
- 3.2 coefficient 210 du 1er novembre 2021 au 07 août 2022 (fin du préavis)
(Le classement au coefficient 115 en mai 2021 n’est pas expliqué par le Conseil, qui a certainement jugé en équité et non en droit sur ce point).
Cela signifie qu’elle aurait dû être rémunérée, au minimum :
- 2 186€ bruts mensuels du 24 novembre 2020 au 24 mai 2021
- 2 394€ bruts mensuels du 25 mai 2021 au 31 octobre 2021
- 4 311€ bruts mensuels du 1er novembre 2021 au 07 août 2022
Pour le Conseil de prud’hommes,
dans le cadre de ses fonctions de Lead, la salariée avait une fonction de gestion d’équipe, ce qui englobait le commandement de celle-ci : elle assistait aux réunions des managers, elle effectuait des évaluations des membres de son équipe, elle était en charge du recrutement, elle contrôlait et organisait le travail de son équipe, tous ces éléments démontrant qu’elle relevait de la position 3.2 coefficient 210.
Il s’agit d’une juste application des dispositions de la convention collective :
- C’est bien le niveau de diplôme qui détermine le statut de cadre, dès lors qu’on possède un BAC +3, +4 ou +5 et que le poste met en application les enseignements du diplôme,
- Dès lors qu’un poste implique un commandement sur des salariés de toute nature, la position 3.2 doit être attribuée.
Pour rappel, la SYNTEC prévoit :
Position 3.2 : Ingénieurs ou cadres ayant à prendre, dans l’accomplissement de leurs fonctions, les initiatives et les responsabilités qui en découlent, en suscitant, orientant et
contrôlant le travail de leurs subordonnés. Cette position implique un commandement sur des collaborateurs et cadres de toute nature.
Condamnation de la société
La Société a été condamnée à plus de 34 000 euros bruts de rappel de salaire (pour 1 an et 9 mois d’ancienneté), sans compter les intérêts de retard (plus de 4500 euros).
Cette décision est devenue définitive car la société n’en a pas fait appel.
Victoire d’étape
Nous le disons depuis notre création : la convention collective SYNTEC (majoritaire dans les studios de Jeu Vidéo) est non seulement choisie par les entreprises car peu avantageuse pour les travailleurs-euses, mais est en plus volontairement mal appliquée pour tirer nos salaires et conditions de travail vers le bas.
C’est une de nos revendications principales : l’application universelle du statut Cadre. Tous les métiers exercés dans l’industrie du Jeu Vidéo nécessitent des formations longues, de l’autonomie et des connaissances étendues. Cela place donc l’intégralité des postes que nous occupons sous le statut Cadre, du moins pour SYNTEC.
Grâce à nos luttes cette revendication commence à être appliquée concrètement, puisque cela s’est négocié chez Amplitude Studios lors des Négociations Annuelles Obligatoires de 2024, et dans les conditions de départ lors du plan de licenciement à Don’t Nod en 2025.
Loin d’être un détail, avoir le statut Cadre plutôt qu’ETAM amène des améliorations bien concrètes et il suffit de regarder les minima de salaire associés pour s’en convaincre. L’écart est encore plus important lorsque, comme dans ce jugement, la classification (3.2) est correcte et adaptée.
Bien souvent, les entreprises ne daignent attribuer le statut Cadre qu’aux postes de programmation et d’encadrement, prétextant des raisons floues et fausses sur la possession ou non d’un diplôme d’ingénieur.
Ce jugement affirme avec force qu’étant donné le niveau d’étude (ultra majoritairement bac + 3 à bac + 5), les compétences et l’autonomie demandées dans nos métiers, le statut Cadre est une évidence. Pour les programmeureuses, mais aussi pour les artistes, les designers, les QA…
Il démontre également que classifier des postes en 3.1 ou 3.2 n’est pas farfelu : nous avons les compétences et les responsabilités associées, le statut et la paie doivent venir avec, comme de juste. Y compris dans les « petites » entreprises comme ici (moins de 50 salarié-es).
La quantité de salaire que les entreprises nous volent depuis des années est gargantuesque.
Conclusion
Le STJV va continuer d’œuvrer pour une application légitime et honnête des conventions collectives, en particulier SYNTEC.
C’est une piste majeure pour l’amélioration de nos conditions de travail et la justice sociale.
Nous invitons toute personne se sentant lésée par son employeur à nous contacter afin de discuter de ce qu’on peut mettre en place.
Le jugement anonymisé :