Dans le jeu vidéo, la lutte contre les oppressions de genre passera par le syndicalisme

Le 8 mars est la journée internationale de lutte pour les droits des femmes et minorités de genre. Elle célèbre les combats, historiques et actuels, des luttes féministes. Le jeu vidéo, loin d’être enfermé dans une bulle de passion apolitique, est un milieu où prospèrent les violences sexistes et sexuelles et où ces combats sont très présents.

Aujourd’hui, les hommes cisgenres représentent plus de 75 % des travailleur·euses du jeu vidéo et occupent une majorité de postes de pouvoir. Leur surreprésentation conduit à une homogénéisation des jeux vidéo et des environnements de travail difficiles, violents et dangereux pour les femmes et les personnes de genre marginalisé.

Pourtant ça n’a pas toujours été la norme, car les femmes ont été les premières à travailler dans l’informatique. L’histoire des « calculatrices » – invisibilisée pendant longtemps – est de plus en plus connue grâce au travail des militantes féministes. De la même manière, elles ont investi le domaine du jeu vidéo dès ses débuts, contrairement à l’imaginaire fantasmé du développeur solitaire dans le garage de ses parents. Comme dans le reste de la société, les femmes investissent les corps de métiers essentiels à la production et participent à la création des œuvres culturelles. Mais leur travail est invisibilisé et dévalorisé, et leur présence réduite à une « liste de femmes notables ».

Etat des lieux

Associations et collectifs féministes dans l’industrie

Cette faible présence des femmes dans l’industrie est un problème social et politique. Depuis plusieurs années le SNJV, un lobby patronal du secteur, présente ses propres données chiffrées pour rendre compte d’un état subjectif de l’industrie française du jeu vidéo. L’augmentation du nombre de femmes dans l’industrie dont les patron‧nes s’auto-congratulent chaque année reste déplorable : la part des femmes travailleuses dans les studios de développement gravite aux alentours des 20%.

Des associations et des collectifs de femmes, parfois réticentes à se définir comme féministes, tentent de favoriser la présence des femmes dans l’industrie. Les plus influentes d’entre elles accueillent en leur sein des organisations patronales et des éditeurs et studios de jeu épinglés pour leur culture d’entreprise sexiste et misogyne. Ce qu’elles pensent être une quasi-obligation pour pouvoir exister politiquement et avoir les ressources financières pour aider les femmes de l’industrie.

On peut reconnaître une réelle utilité à ces organisations : pouvoir servir de tremplin à des femmes peu politisées et qui découvrent tout juste les problématiques féministes. Nous avons toutes commencé à un degré zéro de conscience politique et féministe. La colère et la radicalité se développent au fil des parcours de vie, et il suffit de peu de choses pour construire des personnes engagées.

Malgré cela, l’existence d’alliances entre ces collectifs, des lobbys patronaux et des éditeurs pose problème, tant du point de vue de la prévention des violences que de celui d’une stratégie féministe radicale :

  • leurs initiatives participent alors à blanchir les studios, éditeurs ou écoles avec lesquelles elles travaillent des actions qu’ils prennent contre les femmes ;
  • les femmes ne s’y retrouvent mises en avant que dans une performance symbolique, érigées en trophées de diversité pour satisfaire les discours hypocrites des organisations patronales ;
  • leur fonctionnement crée les conditions d’émergence et de maintien d’un féminisme blanc, valide et bourgeois, qui ne comprendra jamais les réalités des autres femmes et qui, à terme, exclura d’avantage de personnes précaires, LGBT+, racisées et/ou handicapées de l’industrie ;
  • ces alliances impliquent une absence d’indépendance vis-à-vis des éditeurs et des lobbys patronaux, qui couperont court à toute critique féministe jugée trop virulente et ont déjà empêché ces organisations de s’exprimer lors des récentes révélations.

La lutte contre les oppressions dans le jeu vidéo ne marchera pas tant qu’elle servira de faire-valoir au patronat. Iels ont déjà prouvé toute leur hypocrisie en faisant du lobbying auprès des parlementaires pour imposer le retrait d’un amendement imposant un critère de genre à l’attribution du Crédit d’impôt jeu vidéo. Iels ne servent que leurs intérêts personnels, et jamais ceux des femmes et des minorités de genre. Il n’est plus besoin non plus de prouver que le patronat du jeu vidéo a longtemps favorisé le développement d’environnements de travail toxiques envers les femmes et minorités de genre, qui y subissent encore aujourd’hui des violences sexistes et sexuelles.

Les réflexes de protection des personnes ayant du pouvoir

Ces dernières années, la presse généraliste et spécialisée a rendu compte du système de violence qui s’épanouissait dans l’industrie du jeu vidéo. Cette production journalistique est directement issue de ce que certain‧es ont appelé la libération de la parole des femmes, même si, dans les faits, les femmes n’ont pas attendu l’arrivée des réseaux sociaux pour parler, surtout entre elles, de ce qu’elles vivaient.

En réaction à cette mauvaise presse, les patron·nes, studios et directions d’écoles ont mis en place de nombreuses initiatives pour favoriser des politiques de diversité qui ne sont, comme nous avons déjà pu le démontrer, que des campagnes de communication. Il est attendu des femmes qui portent ces politiques de diversité qu’elles soient dociles et ne remettent pas en question l’ordre établi, mais permettent aux directions d’ignorer les conditions de travail discriminatoires auxquelles les personnes de genres marginalisés sont confrontées.

On trouve en première ligne de ces campagnes de communication des éditeurs de renom : Riot Games, Activision-BlizzardUbisoft, et tant d’autres où prospèrent et continuent de prospérer des entre-soi masculins et environnements misogynes, sexistes et dangereux pour les femmes et les personnes de genres marginalisés. Mais les studios de plus petite taille ne sont pas exempts de ces environnements et, au contraire, la précarité qui y règne favorise les comportements de harcèlements et violences.

Dans la quasi-totalité des cas, les patron·nes et les personnes aux postes de pouvoir (managers, RH) se protègent mutuellement et utilisent les structures anti-démocratiques des entreprises pour se mettre à l’abri. Peu importe la taille de l’entreprise, les femmes et les personnes de genres marginalisés se retrouvent face au même choix : se taire et subir, ou partir.

Lutter contre la précarisation

Les femmes et minorités de genre sont sur-représentées dans les métiers les plus précaires, quelle que soit l’industrie. À cause des discriminations qu’on leur impose, elles rencontrent de plus grandes difficultés pour trouver un emploi, accumuler de l’expérience, faire reconnaître leur expertise… ce qui leur laisse moins de liberté pour refuser des postes et conditions de travail précaires. De plus elles sont très souvent responsables du travail reproductif sur leur temps « libre », qu’il s’agisse du travail domestique, des enfants ou d’autres responsabilités familiales.

Il existe des solutions pour briser cette précarité : améliorer la stabilité de l’emploi, favoriser la réduction du temps de travail sans perte de salaire, mettre en place des jours de congés illimités, mettre fin à la cooptation qui entretient l’entre-soi masculin, et bien d’autres. Les revendications formulées par le STJV en mars et en juin l’année dernière répondent à ces besoins.

Les discriminations, les violences sexistes et sexuelles ne disparaitront pas par magie. Cela passera autant par la formation que par l’évolution directe des conditions de travail, par redonner du pouvoir d’agir aux femmes et aux personnes de genre marginalisé.

C’est l’organisation collective des personnes concernées, nous, travailleuses et travailleurs du jeu vidéo, qui permet de créer de véritables lieux d’échanges, de soutiens et de luttes en dehors de toute dépendance aux logiques d’exploitation capitalistes. Par l’action syndicale, nous pouvons contraindre le patronat à accepter nos revendications pour une industrie du jeu vidéo plus juste.

Le syndicalisme comme outil de lutte

Les femmes et les personnes de genres marginalisés ont toujours été présentes dans les luttes ouvrières. Le 8 mars, journée de lutte internationale pour les droits des femmes, a pour origine la grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg, le 8 mars 1917, qui a déclenché les révolutions russes. Ce n’était ni la première ni la dernière fois que les femmes se mobilisent.

Bien que leurs luttes, tout comme leur place dans le monde du travail, soient invisibilisées dans l’histoire ouvrière, les mobilisations des femmes sont des moteurs et ne se limitent pas à un domaine. Le patriarcat et le capitalisme se nourrissant l’un l’autre, lorsque les femmes luttent pour des droits spécifiques, elles font bien souvent avancer les droits et les conditions de travail pour la société dans son ensemble. La révolution sera féministe ou ne sera pas.

Dans le jeu vidéo, on peut mentionner l’article de Kotaku en 2018 et la grève des travailleur·se·s de Riot Games en 2019, l’organisation collective des personnes concernées a secoué l’ordre établi. Leurs mobilisations ont mené à des actions en justice et, on l’espère prochainement, à des changements majeurs des conditions de travail pour l’industrie du jeu vidéo aux USA.

En créant le STJV en 2017, nous avions pour objectif de détruire les derniers bastions idéologiques qui disaient que le secteur du jeu vidéo était une grande famille, un lieu de passion où la politique n’avait pas sa place. Depuis plus de cinq ans, nous bataillons pour rendre le milieu professionnel du jeu vidéo français plus juste pour tous·tes les travailleur·ses, et en particulier pour les femmes et les personnes de genres marginalisés qui continuent de subir des conditions de travail et d’existence délétères.

Les syndicats sont des espaces de lutte pour les droits des femmes et les personnes de genre marginalisé, qu’il s’agisse de créer des espaces de parole en non-mixité, d’accompagner juridiquement des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles dans les entreprises, de contraindre les patron‧es à redonner du pouvoir aux salariées ou encore à saper l’autorité et le pouvoir des agresseurs et de ceux qui les protègent.

Ce qui nous donne le pouvoir de prendre la parole et d’agir c’est de pouvoir nous regrouper, reconnaître nos problématiques communes, connaître nos droits, nous former sur les violences que l’on subit, les qualifier, et nous soutenir mutuellement pour obtenir justice et briser le système à l’origine de ces violences.

Rejoindre un syndicat, c’est réaffirmer un pacte d’amitié, de solidarité et de défense mutuelle entre toutes les travailleur‧ses du jeu vidéo. C’est se former sur le recueil de la parole de nos camarades, sur la culture du viol, et c’est lutter contre les mécanismes patriarcaux à l’œuvre dans nos milieux. C’est briser notre isolement et nous entraider pour créer le rapport de force qui permettra d’améliorer nos conditions de vie à tous·tes.

Nous, femmes et personnes marginalisées du STJV appelons nos adelphes à se syndiquer pour former un bloc féministe radical et créer ensemble les conditions nécessaires pour anéantir tout le système de violences patriarcales du secteur du jeu vidéo. Que, plus jamais, aucune femme et aucune personne marginalisée qui arrive dans l’industrie n’ait à subir ce que nous avons subi, et qu’il y ait des conséquences pour les oppresseurs.

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