C’est quoi un syndicat ?

En 2022, nombre de nos camarades ont pu assister, et participer, à des discussions sur ce qu’est un‧e travailleur‧se, ce que sont les syndicats et leur utilité. Ce fut le cas notamment suite à l’élection présidentielle, lorsque le STJV s’était joint aux voix qui appelaient à se syndiquer et rappelaient que nos luttes sont des affaires quotidiennes, qui se construisent à long terme. Plus récemment, une vidéo de People Make Games avait beaucoup fait parler dans nos milieux.

Le constat général qui ressort de ces discussions est que, y compris dans les milieux syndicaux et chez les personnes concernées directement, il y a beaucoup de confusion sur ce que sont les syndicats, le syndicalisme, les travailleur‧ses…

Certains avis exprimés dans ces discussions conféraient aux syndicats des champs d’action et des objectifs très limités. D’autres relayaient même, involontairement, des clichés anti-syndicaux qui imprègnent notre société, et ouvraient la porte à des initiatives anti-syndicales.

Tout cela ne correspondant ni à la réalité de ce que nous faisons au STJV, ni à nos objectifs, nous avons rédigé cet article pour lutter contre cette confusion, définir les termes importants du débat, et présenter les positions actuelles du STJV, issues de l’histoire dans laquelle nous nous inscrivons et de nos statuts, pratiques et discussions internes.

Le paysage syndical étant très diversifié, tous les syndicats, et encore plus les syndicalistes qui les composent, n’ont pas forcément le même positionnement. Cela est d’autant plus vrai entre les syndicats de différents pays, qui évoluent dans des conditions légales et culturelles différentes.

Nous rappelons qu’il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec toutes les positions actuelles du STJV pour y adhérer. C’est à travers notre travail et nos discussions internes que nous définissons la ligne politique suivie par le syndicat.

Qui sont les travailleur‧ses ?

Pour pouvoir définir ce qu’est un‧e travailleur‧se, il faut d’abord prendre du recul et expliquer ce qu’est le travail et donc, par ricochet, ce qu’est la production.

Prise dans un sens général, la production est l’ensemble de tout ce que la société au sens large produit, qui nous permet de vivre et que nous utilisons directement ou indirectement au quotidien. Son sens est tellement large qu’il est difficile d’en définir les contours rapidement mais, à titre d’exemple, cela regroupe aussi bien la production de nourriture, de vêtements, de meubles, de logement que de loisirs, comme les jeux vidéo, de services, comme les soins, l’information, les télécommunications, les transports, ou encore de connaissances, via notamment la recherche…

Le travail, c’est toute activité qui permet directement ou indirectement la production de quelque chose, quel que soit l’effort ou l’activité qu’on trouve derrière ce mot. Si on prend l’exemple d’une console de jeu, le travail direct qui a été nécessaire pour la produire regroupe entre autres : la récolte de matières premières, leur transport, leur transformation, leur assemblage, la conception de ses composants, le transport vers les magasins, le marketing associé, leur vente…

Ce travail dit productif n’est lui-même possible que grâce au travail dit reproductif, qui permet de libérer le temps de travail humain nécessaire à la production et de maintenir l’énergie et la santé des employé·es. Cela inclut tout travail domestique, non rémunéré et non reconnu, notamment toutes les tâches ménagères et la garde d’enfant.

Nous vivons toutes et tous grâce à un travail collectif qui permet de produire les ressources dont nous avons besoin.

Les travailleur‧ses ne sont donc pas seulement les personnes salariées en entreprise, ou qui ont des contrats de travail en cours. Il ne faut pas tomber dans la confusion courante entre travail et emploi. Le travail a toujours existé et existera toujours, alors que l’emploi est une façon particulière d’organiser une partie du travail dans le système économique capitaliste.

Le terme « travailleur‧se » désigne toute personne que l’organisation économique capitaliste force à effectuer du travail, quel qu’en soit la forme et quelle que soit leur capacité réelle à travailler. Cela regroupe donc les personnes dites « au foyer » qui s’occupent des enfants, les bénévoles dans les associations, les militant‧es d’organisations politiques, les artistes et créateurices de contenu, mais aussi les chômeur‧ses qui subissent des pressions permanentes au retour à l’emploi, les personnes handicapé‧es qui doivent justifier de manière intrusive pour leur vie privée leur incapacité à travailler sans aucune garantie qu’elle soit reconnue, et tant d’autres.

Qui organise la production ?

Actuellement, les personnes qui ont la capacité de déterminer ce qui est produit sont celles qui possèdent les usines, machines, ordinateurs, matières premières, brevets, appartements en location, plateformes en ligne, propriétés intellectuelles, journaux, etc. Tout ce qui est nécessaire à produire quelque chose est regroupé dans ce qu’on appelle les moyens de production. Pour un exemple relatif au jeu vidéo, vous ne pouvez pas produire un jeu Assassin’s Creed si vous n’en possédez pas la licence, si vous n’avez pas de moteur de jeu à disposition, d’ordinateurs, de locaux pour travailler : ce sont des moyens de production.

Les personnes qui possèdent ces moyens ont le pouvoir de décider de ce qu’elles en font, ou n’en font pas. Dans notre système économique, ces décisions se basent sur la valeur marchande de ce qui est produit, et non pas sur sa valeur sociale. On peut prendre comme exemple les entreprises pharmaceutiques qui arrêtent la production de médicaments pourtant indispensables à la survie de malades car ceux-ci ne sont pas assez rentables économiquement.

Ni les personnes qui produisent ces médicaments, ni celles qui en ont besoin pour vivre ne peuvent choisir de les produire quand même. Elles n’en ont pas le pouvoir puisqu’iels ne possèdent pas les moyens de production nécessaires. C’est la relation aux outils de production qui définit ce qu’on appelle les classes sociales : on appelle bourgeoisie la classe qui les contrôle, et prolétariat celle qui ne les contrôle pas.

La bourgeoisie ayant besoin du prolétariat pour fournir le travail nécessaire à la production, ne serait-ce que de par son faible nombre, elle emploie des prolétaires pour produire des biens et services. Leur travail est moins rémunéré que la valeur de ce qu’iels produisent, pour en tirer un profit : c’est ce qu’on appelle l’exploitation. Dans le jeu vidéo par exemple, les bénéfices d’un jeu ne sont pas répartis équitablement entre les personnes qui l’ont fabriqué : la majeure partie va aux éditeurs, patron‧nes et actionnaires, c’est à dire aux personnes qui possèdent les moyens de production.

Le prolétariat se définit donc en opposition à la bourgeoisie, à la fois sur le contrôle des moyens de productions mais aussi sur la différence d’obligation sociale à travailler. En ce sens, les mots « prolétaires » et « travailleur·ses » sont synonymes dans les communications du STJV.

Que sont les syndicats ?

Pour assurer que la production bénéficie réellement aux personnes qui en ont besoin et à la société en général, il faut que le prolétariat puisse décider collectivement ce qui est produit, comment, en quelle quantité, et à qui tout cela est distribué. C’est ici que les syndicats interviennent.

Si les syndicats sont à la base des organisations de travailleur·ses, c’est parce que l’organisation de la production actuelle tourne autour du travail. Dans notre système économique, les mécanismes sociaux de redistribution du capital, d’accès aux services public, toutes les aides, allocations, indemnités et retraites, sont alimentées par la production économique. Toutes les personnes qui en bénéficient dépendent donc du travail.

Le syndicalisme est une stratégie qui profite du poids que peuvent avoir les prolétaires employé·es en agissant directement sur la production et notamment en bloquant la production capitaliste , mais il ne s’arrête pas pour autant aux portes des usines et des immeubles de bureaux.

Le processus de réorganisation de la production concerne tous les prolétaires, et doit donc impérativement les inclure toutes et tous. La lutte syndicale ne tourne pas uniquement autour du salariat, mais concerne toute personne appartenant au prolétariat. Les travailleur‧ses non salarié et les personnes qui bénéficient de la redistribution du capital et des services publics ont déjà leur place dans le mouvement syndical, comme le montrent par l’exemple les syndicats de sans-papiers, auto-entrepreneurs, chômeur·ses, retraités ou encore travailleur·ses des plateformes.

Quel est leur domaine d’action ?

Bien que cela reste une de leurs activités principales, et parfois la plus visible, les syndicats ne se limitent donc pas à la représentation en entreprise, ni au cadre légal sciemment restrictif du « dialogue social ». Les pouvoirs que leur confère la loi sont utiles et pratiques, mais n’empêchent pas de s’organiser hors de ce cadre.

Les idées néolibérales, malheureusement répandues, prétendent le contraire dans le but d’institutionnaliser les syndicats, dépolitiser leur action et ainsi la vider de sa substance en la rendant inefficace. Mais, bien au contraire, l’histoire syndicale montre que la lutte syndicale s’est toujours faite sur tous les fronts.

Création d’hôpitaux de pointe gratuits, fondation de la sécurité sociale, soutien constant aux luttes de travailleur‧ses sans papiers ne sont que quelques exemples des réalisations sociales d’ampleur qui illuminent l’histoire des syndicats en France. Le mouvement ouvrier, par des caisses de cotisation et d’aide mutuelle, est aussi à l’origine de l’assurance chômage. Ces mesures, rendues possibles par la solidarité de classe, concernent bien des personnes qui ne sont pas salarié·es. Elles ont toujours eu pour but d’organiser collectivement des moyens de s’émanciper de la domination économique capitaliste.

Le travail a un rôle tellement structurant dans notre société qu’il concerne virtuellement tout le monde, et conditionne en grande partie nos moyens d’existence. Un syndicat ne peut et ne doit pas s’occuper exclusivement de la lutte contre la domination économique, car les dominations ne sont pas isolées les unes des autres mais se chevauchent et se combinent.

Pour preuve, nombre de sujets syndicaux « classiques » – discrimination à l’embauche, congés parentalité, accessibilité des lieux de travail et de l’organisation du travail pour les personnes handicapées, accessibilité pour les utilisateur·ices, congés maladie, etc – sont de manière assez évidente à la croisée d’autres oppressions : sexisme, racisme et validisme notamment.

En améliorant les conditions de travail, les services publics et sociaux, en augmentant le temps disponible pour chacun·e (par exemple par la réduction du temps de travail salarié hebdomadaire) et en luttant contre la précarité, l’action syndicale améliore les conditions de vie de tout le monde.

Comment peuvent-ils changer durablement le système économique ?

Un point sur lequel la majorité du mouvement syndical s’accorde en théorie est que, pour pouvoir décider pragmatiquement et efficacement de la production et l’adapter aux besoins de toutes et tous, il faut mettre fin à la division de la société en classes et séparer l’organisation de la production de la recherche permanente de profit.

C’est le seul moyen pour assurer que la production bénéficie réellement aux personnes qui en ont besoin et à la société en général, y compris en prenant en compte les contraintes écologiques. Cela veut dire que les prolétaires doivent prendre le contrôle de la production et décider ce qu’iels en font par elleux-même. Dans les syndicats, mais aussi dans les partis, il existe deux grands courants généraux qui visent à changer le système économique : le courant réformiste et le courant révolutionnaire.

Le courant réformiste vise une prise du pouvoir pacifique et républicaine, et compte exclusivement sur l’utilisation de la loi et des institutions existantes pour transformer graduellement le capitalisme. Dans les syndicats, cela veut dire se reposer sur le « dialogue social » institutionnalisé.

Le courant révolutionnaire prône une confrontation directe avec le capitalisme et une prise de pouvoir rapide et soudaine qui renverserait le système existant. Il ne considère les institutions existantes que comme des outils, qui peuvent aussi être des obstacles structurels à la transformation de l’économie. Au niveau syndical, cela veut dire favoriser l’auto-organisation des prolétaires et le recours à l’action directe (actions décidées et menées collectivement, directement par les personnes concernées, et non par des représentant·es), en vue de la réappropriation des moyens de production par la grève.

Se reposer uniquement sur des institutions existantes est un danger pour les syndicats, toute structure cherchant à maintenir son existence. Il nous faut être particulièrement vigilant·es pour éviter que nos syndicats ne finissent par prendre des décisions qui servent davantage leurs intérêts que ceux de notre classe. Plus précisément, s’il n’est pas pensé et pratiqué comme un outil révolutionnaire, un syndicat est condamné à vouloir se maintenir et donc à maintenir son environnement, le capitalisme.

C’est une limite des syndicats réformistes : une bureaucratie se développe en leur sein et, avec le temps, les intérêts de la structure ainsi que de ses employé·es changent. Pour maintenir leur existence, le plus simple pour eux est encore que les prolétaires continuent à en avoir besoin. L’un des meilleurs remèdes à ce risque est l’implication d’un maximum de prolétaires au sein des organisations syndicales, et à tous les niveaux. Plus le pouvoir y est partagé, notamment par l’autogestion, plus le risque de détournement des structures est atténué.

En résumé, on peut définir un syndicat de cette manière :

Un syndicat est une organisation dont l’objectif est d’organiser les prolétaires pour qu’iels reprennent collectivement et définitivement le contrôle de toute la production. C’est une stratégie, une manière de s’auto-organiser entre prolétaires pour déterminer comment gérer la production, ce qu’on en fait et à qui elle bénéficie.

Comment s’engager au niveau syndical ?

La base de l’action syndicale, c’est la solidarité, l’entraide et la formation mutuelle. En connaissant vos droits et en aidant vos proches à connaître leurs droits, vous préparez le terrain pour la lutte et prenez conscience de votre condition. Être au courant, même très partiellement, des voies d’actions et des organisations existantes permet de conseiller son entourage et le rediriger vers les personnes qui pourront les aider, sans attendre le dernier moment.

En faisant ça, vous aidez également directement les organisations syndicales, car le travail syndical se fait d’autant plus facilement que les gens nous rejoignent ou nous parlent tôt. En attaquant tôt les problèmes, à la racine, on évite de devoir sortir l’artillerie lourde comme les procès qui peuvent mettre des années à être résolus, et on protège plus efficacement en prévenant des problèmes plus graves.

Vous pouvez aussi suivre, soutenir et participer aux mouvements sociaux. Ces mouvements, par leur ampleur, ont beaucoup d’inertie et les syndicalistes tou·tes ensembles travaillent d’arrache-pied, pour les lancer, les organiser et les entretenir. Y participer aide à les maintenir, les amplifier et les construire sur la durée, permettant leur victoire.

Pourquoi rejoindre un syndicat ?

Le meilleur moyen d’aider le mouvement syndical reste encore de s’impliquer dans les organisations de travailleur·ses, et donc de rejoindre un syndicat. La simple adhésion permet déjà d’aider un syndicat, en augmentant sa taille et donc son poids dans les discussions ou rapports de force. Le simple fait de cotiser donne des moyens financiers et donc améliore sa capacité à aider les prolétaires.

Au niveau national, local ou dans son entreprise, se joindre aux cortèges de manifestation, aller aux activités sociales, participer aux réunions et groupes de discussions, même en tant que spectateur·ice, peut permettre d’intégrer en douceur la vie syndicale, mais aussi, et surtout, de rencontrer des camarades qui connaissent vos problèmes et les subissent aussi. Participer aux activités et événements syndicaux est une étape importante pour réaliser qu’on n’est pas seul·e, qu’on peut échanger et s’organiser ensemble.

Pour celleux qui le peuvent, il est aussi possible de s’investir directement dans le travail syndical. En particulier dans les structures comme le STJV où tout le travail est bénévole, chacun·e apporte ce qu’iel peut à hauteur de ses moyens, sans qu’il n’y ait d’attentes ou d’obligations. Le but n’étant pas de reproduire ce qu’on subit en entreprise. En s’investissant un petit peu, de temps en temps, on permet déjà d’augmenter la quantité de travail effectuée par le syndicat et, surtout, on se forme et on en apprend plus sur la lutte syndicale et nos droits à toutes et tous.

Et s’il n’y a pas de syndicat qui me convienne ?

Si aucun syndicat n’est présent dans votre secteur, ou qu’aucun ne vous correspond politiquement, il est possible de faire des recherches plus approfondies, en allant par exemple voir les unions locales et départementales des confédérations, et les syndicats de branches proches de la vôtre. Vous pouvez demander à des syndicats plus proches de vous politiquement s’ils en connaissent d’autres dans vos industries. Les plus petits syndicats, en particulier ceux qui sont indépendants et/ou révolutionnaires, peuvent être actifs sans être forcément connus.

Si vous ne trouvez réellement pas, outre l’option radicale mais réelle de créer un syndicat comme le STJV a fait pour le jeu vidéo, il est toujours possible de s’engager dans un syndicat existant malgré tout, via des actions concrètes utiles en toutes circonstances comme du conseil juridique.

N’oubliez pas enfin que rejoindre un syndicat n’est pas un engagement à vie ! Il ne faut pas que l’acte de rejoindre un syndicat soit paralysant, car cela ne vous engage à rien. Il est tout à fait possible de rejoindre un syndicat pour voir l’organisation et la démocratie interne, poser des questions, etc. et de le quitter ensuite si ça ne vous convient pas et que vous constatez qu’il n’est pas possible de changer le syndicat en interne.

Pour aller plus loin

Comptes
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