Les écoles se mettent au service de l’industrie, et non des étudiant‧es

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

Les études de jeu vidéo habituent donc les étudiant‧es à travailler dans de mauvaises conditions, en étant surchargé‧es de travail et en devant s’organiser et trouver des solutions aux problèmes seul‧es, sans soutien. Ce qui contrevient à la principale mission des écoles : l’apprentissage. Elles les exposent également à des ambiances sexistes (souvent catégorisées par le terme « boys’ club ») et à du harcèlement, tout en tombant dans le favoritisme envers des personnes aux comportements nocifs, voire dangereux. Enfin, en leur promettant monts et merveilles pour des carrières dans un milieu de passioné‧es, en les dépossédant de leur travail et en ignorant sciemment le droit du travail, elles les poussent vers la précarité.

Tous ensemble, ces problèmes s’accumulent pour dévoiler la véritable fonction de l’enseignement tel que conçu dans le jeu vidéo (et beaucoup d’autres industries) : les écoles servent l’industrie et les entreprises, pas leurs « client‧es », c’est à dire les étudiant‧es. Que cette fonction soit consciente ou non chez les directions d’écoles importe peu, car le résultat reste le même quelle que soit l’intention.

Le premier résultat de cette mise au service de l’industrie se caractérise par des études qui assurent une présélection des futur‧es travailleur‧ses pour les entreprises. Si cela s’opère dès l’entrée, comme dit précédemment, le coût matériel et les conditions d’études terminent de procéder à l’élimination des personnes fragilisées, minorisées et handicapées. Les personnes « non conformes » qui arrivent à rentrer dans les études de jeu vidéo subissent une pression en continu au cours de leurs années d’études, qui les pousse vers la sortie. Parmi le peu de chiffres disponibles sur l’industrie française du jeu vidéo, on en trouve deux très parlants dans le baromètre annuel du SNJV qui exposent l’ampleur du problème pour les femmes, une des catégories de personnes discriminées parmi tant d’autres : il indique pour 2019 un pourcentage de 26 % de femmes dans les écoles de jeu vidéo, mais seulement 14 % de femmes dans les entreprises de l’industrie. Ceci témoigne des discriminations à l’embauche mais aussi des abandons, nombreux, de femmes au cours de leurs études.

Cette présélection permet aux entreprises de s’assurer que la majorité des personnes qu’elles recrutent seront « adaptés » à l’industrie, ou suffisamment « dociles » pour souffrir en silence, et qu’elles n’auront donc pas besoin d’adapter leurs bureaux, méthodes et organisations de travail, leur économisant ainsi de l’argent. Elle a également pour effet d’uniformiser l’industrie : socialement, en gardant une majorité d’employé‧es issues de classes moyennes et supérieures, et culturellement, en s’assurant que les idées, thèmes et intentions apportées par les travailleur‧ses ne sortent pas trop du cadre actuel de l’industrie. Les efforts pour inciter les étudiant‧es à créer des jeux « marketables » et le favoritisme qui en découle envers les étudiant‧es qui rentre dans le moule du secteur, participent énormément à cette uniformisation culturelle. Et ce alors que l’industrie gagnerait à laisser plus de champ à l’exploration de nouvelles thématiques et mécaniques.

En plus de cette sélection sociale, les écoles participent également très activement à un formatage des étudiant‧es, les poussant à accepter des conditions de travail dégradées en studio. Les enseignements y sont majoritairement techniques, pour répondre aux listes de prérequis des offres d’emploi, et ne se soucient guère de la socialisation et du bien-être au travail des étudiant‧es. Les cours abordant le droit du travail, les relations en entreprise et les problèmes qu’on y rencontre sont rares. Mais cela est d’une certaine manière compréhensible, puisque ces mêmes problèmes sont présents en écoles (en témoigne le nombre d’entre elles qui ne respectent pas le droit du travail). Dans les quelques écoles en proposant, ils sont particulièrement axés sur l’entrepreneuriat, ce qui a de multiples utilités pour le patronat :

  • faire rêver les élèves qui voudraient fonder leur propre studio ;
  • les faire penser comme des patron·nes ;
  • les pousser vers des situations précaires comme l’auto-entrepreneuriat
  • les détourner des recours légaux auxquels iels ont accès.

« pour se faire embaucher à coup sûr, vous prenez le statut d’auto-entrepreneur et vous demandez la moitié du SMIC horaire pour un temps plein »

Propos rapporté d’un·e responsable à l’école Bellecour

« Pendant un cours « contrat et loi », on nous a expliqué qu’en cas de problème, aller aux prud’hommes, c’était prendre le risque d’être « flagué » comme un emmerdeur »

Ancien·ne élève d’une école de jeu vidéo

Les écoles ne proposent pas que des interventions de professionnel‧les et entreprises souhaitant partager leur savoir. Y sont également invités des professionnel·les venant simplement faire de la publicité de leurs produits, méthodes de production ou studio tels des VRP, ainsi que les lobbies patronaux (dont les écoles sont souvent membres). Il est ainsi presque impossible d’échapper à la propagande patronale décontextualisée lors de ses études, dont le but reste d’apprendre aux étudiant‧es à aimer les conditions de travail dégradées de l’industrie.

« [Nous avions] des interventions de « professionnels » du JV pour nous apprendre à cruncher comme il faut. […] Nous étions conditionnés à apprécier ça. Dans nos têtes c’était fantastique. »

Ancien·ne élève d’une école de jeu vidéo

Ces professionel·les en viennent aujourd’hui à venir directement sélectionner les étudiant‧es dans les écoles. Cela se fait avant tout à travers les jurys de projets, souvent abordés par les étudiant‧es et membres du jury comme des simili-entretiens d’embauche, à fortiori car ces moments sont présentés par les écoles comme des opportunités pour les entreprises de prospecter. De manière assez habituelle, ces jurys sont composés de professionnel‧les qui se sont porté·es volontaires après une annonce ou proposition des écoles, parfois relayée et approuvée en interne par les entreprises. Ce qui passe pour une initiative louable au premier abord, s’apparente une fois de plus à du travail gratuit au profit des écoles, aux nombreux effets pervers. En effet ces volontaires ne sont quasiment jamais qualifié‧es pour évaluer du travail étudiant, et leur présence peut répondre a des motivations très variées et très personnelles, parfois graves, certain‧es y voyant une opportunité de dénigrer le travail d’étudiant‧es, voire de les harceler. Leur présence participe également à la reproduction et l’uniformisation des productions de l’industrie, en favorisant les projets proches de leurs goûts personnels et de ce qu’iels produisent elleux-mêmes.

« L’école *** recherche des pros pour son jury de fin d’année. […] C’est l’occasion rêvée pour aller encourager les jeunes et/ou aller passer vos nerfs sur eux »

Mail interne d’un studio français

La présence directe, à tous les niveaux, des professionnel‧les et représentant‧es des entreprises de l’industrie brouille la frontière entre celle-ci et les écoles, en assurant notamment la promotion de l’industrie au détriment de l’information des étudiant‧es sur ses réalités beaucoup moins enviables. Que cela soit conscient et/ou assumé ou non, le but des écoles reste de fournir des machines productives aux entreprises, pas de préparer des personnes à vivre leur travail dans les meilleures conditions. Les interventions du STJV en école, que nous faisons depuis plusieurs années et durant lesquelles nous initions les étudiant‧es au droit des stages, du travail et aux réalités de l’industrie, essaient de pallier à leurs déficiences et de contrebalancer la présence des lobbies patronaux en leur sein. Nous continuons nos efforts en ce sens et restons disponibles, dans le but d’en faire dans le plus d’écoles possibles. N’hésitez pas à nous contacter.

Harcèlement : Ubisoft préfère jouer la montre et faire de la comm’ que protéger les employé·es

Ce communiqué a été écrit par des salarié‧es du groupe Ubisoft en France, incluant les sections STJV d’Ubisoft Annecy, Ubisoft Montpellier et Ubisoft Paris.

Rappel : dans cet article et plusieurs autres, nous utilisons le sigle CSE : le CSE (Comité Social et Economique) est un conseil de travailleur·ses qui est obligatoire dans toute entreprise à partir de 11 employé·es. Ses membres sont élu·es par les employé·es de l’entreprise et ont le statut de « salarié protégé », ce qui empêche de les licencier durant leur mandat sans accord de l’Inspection du Travail. Le CSE a notamment pour mission la protection des travailleur·ses de l’entreprise, en les conseillant, en transmettant leurs retours à la direction, et en veillant au respect de la loi par l’entreprise.


Il y a un peu plus d’un an, Ubisoft faisait face à une vague de témoignages sans précédent sur de très nombreux cas de harcèlement et d’agressions ayant lieu dans le groupe. Ces témoignages mettaient en cause de nombreuses personnes y compris certaines haut placées au sein de la hiérarchie du groupe, et révélaient une structure d’entreprise qui n’avait aucun remord à ignorer les multiples alertes lancées sur ses membres, tout en poussant à la sortie les victimes.

Notre analyse de la situation n’a pas changé depuis. Il est nécessaire, plus que jamais, que les travailleuses et travailleurs (via leurs représentations, syndicats ou autres déclinaisons locales) soient intégralement parties prenantes des processus de décision visant à régler ces problèmes. À ce titre, les membres de nos sections au sein d’Ubisoft qui sont également élu·es CSE, notamment les représentants de chaque section, ont travaillé d’arrache-pied pour obtenir que cela soit le cas.

Ce travail de longue haleine (voir la frise chronologique des événements ci-dessous), face à une direction qui a usé de toutes les ficelles à sa disposition pour gagner du temps, se retrouve aujourd’hui bloqué par une réponse brutale et complètement hors-sol de la direction du groupe, qui refuse tout net nos demandes. Encore une fois, cette direction ne peut en aucun cas prétendre faire table rase du passé en remplaçant uniquement une ou deux « têtes pensantes » trop connues pour se refaire une image plus propre.

En refusant d’intégrer des salarié·es au processus de remontées et de décision sur le harcèlement, la direction d’Ubisoft montre qu’elle n’a jamais eu la volonté de faire plus que de la communication pour « sauver la face ».


Un autre élément récent illustre bien cette volonté : l’introduction d’un sixième attribut d’évaluation (en plus des cinq pré-existants, donc). Ce sixième attribut, « Incarner l’exemplarité », s’appliquerait à toute personne travaillant chez Ubisoft, et non seulement il impacterait sa rémunération comme toute l’évaluation (voir le lien ci-dessous), mais il serait aussi utilisé comme multiplicateur pour le bonus de production en cas de sortie de jeu. Cet attribut pose d’énormes problèmes, car il lui est donné une importance capitale, alors que sa définition est des plus vagues : « faire preuve d’empathie », « être inclusif‧ve », « avoir une approche constructive »…

Le système d’évaluation d’Ubisoft est déjà extrêmement bancal et injuste, ainsi que nous le rappelions en juin dernier. Ce système est facteur de risques psycho-sociaux, et rajouter un dispositif risquant fortement d’augmenter ces facteurs de risques plutôt que de réformer de fond en comble les systèmes d’évaluation et de rémunération en place est tout simplement irresponsable.

Cet ajout est un pur outil de communication : il permettra à la direction de se gargariser de lutter contre le harcèlement via un impact salarial, tout en ignorant complètement qu’il s’agit d’une part d’un outil n’intervenant qu’a posteriori (puisqu’au moment de l’évaluation), et qu’il est pétri de failles critiques: rôle prédominant du ou de la manager dans une situation où bien souvent les problèmes viennent déjà de ces supérieur·es hiérarchiques, discriminations possibles envers des personnes ne « rentrant pas dans le moule »… Dans les faits cet attribut pourrait donc, plutôt que de lutter contre, devenir un outil de discrimination et harcèlement supplémentaire au service des managers du groupe.

Cela n’a pas échappé à nos membres marginalisé·es qui ont immédiatement perçu comment ces mesures allaient aggraver les discriminations qu’iels affrontent plutôt que les réduire :

  • Il y a un réel risque lié à la mise en avant de leur marginalisation au sein des évaluations : en cas d’évaluation positive, la personne sera considérée « privilégiée » par nature, renforçant de potentielles accusations de favoritisme, ou de « faire-valoir »
  • Une personne qui se défend contre des remarques ou comportements déplacées pourra être évaluée négativement pour son approche « non constructive » ou « sa difficulté à s’intégrer dans l’équipe » plus encore qu’actuellement
  • Cet attribut n’aide pas à révéler ou à réguler les problèmes de harcèlement au sein des équipes : il peut constituer un moyen supplémentaire de répression, et selon toute vraisemblance, un harceleur ne sera pas « puni » à l’évaluation s’il n’est pas déjà sanctionné disciplinairement auparavant.
  • Rappelons encore que cet attribut n’aide pas à améliorer les évaluations, puisque celles-ci sont dépendantes du budget accordé aux augmentations (cf notre article précédent plus haut).
  • Rappelons également que les personnes marginalisées sont déjà le plus souvent pénalisées par de plus bas salaires. Elles sont donc particulièrement susceptibles d’être lésées en cas d’abus de ce sixième attribut par leur manager.
  • Des personnes ayant un fonctionnement empathique neuroatypique pourraient se le voir reprocher et être punies au nom même de cet attribut supposé favoriser l’inclusion de toutes et tous.

En conclusion de cette liste effarante, et pourtant non-exhaustive, il apparaît clairement que ce sixième attribut pousserait plutôt les personnes qu’il est supposé protéger à se taire pour ne pas subir encore plus de discriminations – ou pire encore, qu’il encourage les personnes dangereuses à amplifier leur violence envers les victimes pour les pousser au silence.

Le STJV, au nom de ses adhérent·es travaillant dans le groupe Ubisoft, revendique donc le retrait pur et simple du projet de sixième attribut, ainsi que l’intégration de travailleuses et de travailleurs à tous les niveaux du processus de remontées harcèlement, et pas seulement en aval, après que la direction ait pu édulcorer ou carrément étouffer certaines affaires.


Les conditions d’études assurent la reproduction des problèmes de l’industrie

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

L’absence de questionnement des méthodes de l’industrie et d’apprentissage d’un recul critique, conjugué à l’énorme porosité entres les enseignant·es et l’industrie, conduit à la reproduction au sein des écoles des mêmes problèmes que dans l’industrie. Un grand nombre d’entre elles en viennent même à les considérer comme normaux pour l’industrie et invitent leurs élèves à les intégrer dans leur organisation de travail et leurs comportements. Élèves qui vont ensuite rejoindre l’industrie du jeu vidéo et y agir de la même manière, assurant ainsi la reproduction de tout ce qui ne va pas dans celle-ci.

Les premiers articles de Libération et Gamekult reviennent longuement sur la pratique du crunch dans les écoles, à raison. Même dans les écoles qui font le plus d’efforts pour limiter la charge de travail, il est attendu des étudiant‧es qu’iels fassent des semaine de 60 heures ou plus de travail. Et c’est sans compter les piscines, des périodes de travail très intensives qui portent des noms variées comme workshop , semaine intensive, semaine projet, etc., ou les rendus de projets, qui donnent lieu à des périodes de travail très chargées sans aménagement. Les dates de rendu de ces projets tombent très souvent juste après des weekends et vacances, avec l’idée implicite que ces périodes de repos vont en fait être utilisées pour faire de très longues journées (et nuits) de travail jusqu’à la dernière minute avant le rendu. Il n’est pas rare que les directions pédagogiques valorisent les nuits blanches et les projets ayant des tailles bien supérieures à ce qui est gérable par les élèves, comme nous avons pu le constater à de nombreuses reprises par des mails et messages envoyés aux étudiant‧es. Cette charge de travail bien trop élevée a, comme partout ailleurs, des conséquences graves sur la santé et la vie sociale. Nombre d’étudiant‧es sont déjà épuisé·es en sortie d’études, avant même d’avoir travaillé en entreprise.

La multiplication des heures de travail est par ailleurs souvent encouragée, de manière indirecte, par les horaires d’ouverture des locaux. Il n’est pas rare que les locaux d’école soient ouvert aux étudiant·es jusque très tard le soir et le weekend et, dans les cas extrêmes, peuvent même ne jamais fermer. Si l’accès aux locaux est important pour que les étudiant‧es aient accès au matériel de l’école, notamment pour celleux n’ayant pas les moyens de s’équiper personnellement en matériel coûteux, les dérives qui en découlent sont inadmissibles. Systématisme des ouvertures, clefs des locaux fournies aux élèves, directeurs pédagogiques présents sur les lieux pour encourager les groupes de projet : quand une école explique qu’il est possible de travailler la nuit à l’école, elle banalise une pratique anormale, que les étudiant‧es incorporent à leur processus de travail.

Les discriminations de toutes sortes sont également très répandues dans les écoles de jeu vidéo. Sexisme, racisme, validisme, LGBTIphobies, et tout autre forme de discrimination sont monnaies courantes, reflétant le présent de l’industrie du jeu vidéo, et forgeant son futur. De très nombreux témoignages reçus parlent de discriminations et harcèlements subis au cours des études, allant jusqu’à pousser des élèves à arrêter leurs études ou, pire, à mettre fin à leurs jours. Les deuxièmes articles publiés sur Libération et Gamekult reviennent au travers de nombreux témoignages sur ces discriminations et sur l’inaction des directions d’écoles, quand elles ne sont pas elles-mêmes à l’origine de celles-ci.

Car les écoles ont beaucoup à faire pour arrêter de discriminer les étudiant‧es. Et ce dès la sélection d’entrée, puisqu’il nous a été rapporté à plusieurs reprises que des écoles ont sciemment mis de côté des candidatures de personnes handicapées et/ou LGBT, considérant que les intégrer à l’école serait « trop compliqué » et que « ça pose des problèmes ». Cette pratique intolérable et bien sûr illégale montre que les problèmes commencent avant le début des études, mais ils ne s’arrêtent bien sûr pas là. Les personnes handicapées, souffrant de maladie chroniques ou, de manière générale, qui ont besoin d’une adaptation des environnements et rythmes d’études, temporairement ou de manière permanente, font quasi systématiquement face à un mur : les écoles attendent d’elles qu’elles s’adaptent ou qu’elles quittent l’établissement. Celleux qui essaient de faire part des discriminations subies aux administrations ne sont au mieux pas écouté·es, au pire voient leur parole minimisée, remise en cause, ainsi que leur avenir au sein de l’école.

S’exprimer de manière isolée n’est en effet pas toujours sans conséquence. Trop souvent, les auteur‧ices de discriminations (professeur‧es, administratif‧ves, étudian‧tes) sont protégé‧es par les directions pédagogiques qui n’imposent aucune sanction, mettent à l’écart les victimes au lieu de les protéger, etc. De nombreuses directions pédagogiques participent activement à la discrimination de cette manière, mais aussi en étant acteur direct de celles-ci. Les témoignages de directeur‧ices pédagogiques expliquant aux femmes qu’elles n’ont pas leur place dans le jeu vidéo, à des personnes handicapées qu’elles doivent s’adapter à l’industrie et non l’inverse ne sont pas si rares, certaines écoles en viennent même à refuser des validations d’année sans justifications tangibles, autres que la pure discrimination. Les cas de favoritisme au détriment de personnes marginalisées et/ou qui s’expriment sur les problèmes des écoles sont également légion.

On trouve également dans les écoles beaucoup de sexisme venant de professeurs hommes envers des étudiantes, et bien trop souvent des professeurs qui utilisent l’ascendant que la relation élève/professeur leur donne pour tenir des propos malvenus ou entretenir des relations sexuelles ou romantiques asymétriques et abusives avec des étudiantes, sans subir de conséquences. Ces comportements de prédation envers des femmes plus jeunes et plus vulnérables par leur position hiérarchique rappellent les comportements qu’on peut constater en entreprise et dans les cercles de socialisation de travailleur‧ses du jeu vidéo. En école ils sont facilités, entre autres, par le manque de préparation et de formation des intervenant‧es, qui ne sont parfois même pas conscients de la potentielle dangerosité de cette relation élève/professeur, et pensent qu’iels peuvent se comporter avec les étudiant‧es comme s’iels étaient leurs ami·es.

Il arrive aussi souvent que les étudiant‧es suivent à leur tour les exemples toxiques de leurs professeur‧es, et perpétuent des formes de discrimination et harcèlement fréquentes dans les milieux socialement homogènes, comme l’industrie du jeu vidéo. Cela arrive à l’école, mais aussi sur les réseaux sociaux et les canaux de communication entre étudiant‧es comme les serveurs Slack, Discord, etc. qui existent très souvent dans les sphères étudiant‧es et que les écoles font semblant d’ignorer pour se dédouaner. Dans un témoignage que nous avons reçu, un·e étudiant·e subit par exemple des « humiliations (de plus en plus fréquentes) sur le Discord de l’école » : des agressions transphobes, sexistes, auxquelles les membres de la direction « disaient qu’iels n’y pouvaient rien car ce n’était pas dans le cadre de l’école ».

Conditions de travail des professeur‧es dégradées

Ces constats côté étudiant‧es s’accompagnent, sans surprise quand on est un peu familier avec les conditions de travail dans le jeu vidéo et dans l’enseignement supérieur, de constats similaires côté professeur‧es : les écoles peuvent être un enfer pour les étudiant·es mais AUSSI pour les professeur·es et intervenant·es. Contrats précaires, très bas salaires, manque de temps pour préparer les cours et les corrections, peu voire pas de coordination pédagogique, pressions hiérarchiques, licenciements illégaux : les conditions de travail y sont excessivement mauvaises.

De manière encore plus disproportionnée que dans les studios de jeux et autres sous-secteurs du jeu vidéo, les professeur‧es des différents disciplines du jeu vidéo sont largement employé‧es via des contrats précaires. Contrats à Durée Déterminée ne couvrant qu’un semestre, heures de cours payées a posteriori en freelance, etc. : pour beaucoup, il est impossible de se projeter sur le suivi de leur enseignement et de leurs élèves, et encore moins sur leurs propres finances ou la construction d’une carrière. Cette précarité gêne également les professeur‧es qui voudraient améliorer les cursus, puisque les écoles peuvent simplement ne pas renouveler les contrats des personnes qui voudraient leur tenir tête.

Ainsi cette précarité sert de moyen de pression pour forcer les travailleur‧ses à accepter des conditions de travail intolérables. Les écoles de jeu vidéo proposent souvent des salaires inférieurs aux autres secteurs, qui paient déjà très mal, même en ne prenant en compte que les heures de cours. Car, pour une heure de cours, il faut aussi compter des heures de préparation, de mise en forme du cours, de correction des exercices, de discussions avec les étudiant‧es, mais aussi de transport et d’heures d’attente entre des cours (sans accès à un poste de travail). Rapporté aux nombres d’heures réelles effectuées, les salaires sont si bas qu’ils ne permettent pas de vivre.

« Quelle que soit l’expérience et la qualité de l’enseignant, si il n’est pas d’accord avec ses conditions de travail, il n’a qu’à prendre la porte à la fin de son CDD et il sera remplacé par un enseignant plus jeune qui acceptera le job et ses conditions de travail. (…) On m’a quasiment toujours fait signer mes contrats de travail après que les cours aient commencé. Faire signer les contrats très tard est aussi un moyen de pression pour les RHs. Les enseignants sont au pied du mur. »

Quand ces conditions ne sont pas acceptées par les intervenant‧es, les écoles leur mettent encore plus la pression, n’hésitant par exemple pas à recourir au chantage émotionnel en leur reprochant d’abandonner les élèves. Et s’iels ne cèdent pas, iels sont remplacé·es. Quand iels s’inquiètent des problèmes de l’école ou remontent les problèmes des étudiant‧es à leur hiérarchie, leurs plaintes et même leurs suggestions bénéfiques pour les élèves sont au mieux ignorées par les directions d’écoles, au pire réprimées par du harcèlement et des licenciements illégaux. Nos constats montrent que ce dernier point est particulièrement vrai dans les cas de discriminations, faisant des écoles des complices directs de celles-ci.

Si ces conditions de travail n’excusent pas les comportements que peuvent avoir certain‧es professeur‧es, elles peuvent les expliquer en partie, et montrent à quel point le système entier est vecteur de discriminations et d’abus. Elles expliquent également en partie la faible qualité d’enseignement, puisqu’elles ne permettent pas aux professeur‧es et intervenant‧es de rester longtemps, d’accumuler de l’expérience et de suivre les étudiant‧es d’une année sur l’autre. On peut noter encore une fois la boucle : les bas salaires de l’industrie encouragent les jeunes travailleur·ses à accepter des contrats précaires dans les écoles pour compléter leurs revenus, et ce peu importe les conditions (parfois, ironiquement, pour rembourser le prêt contracté pour payer les frais d’inscription à cette même école).

Les écoles ne préparent pas du tout à l’entrée sur le marché du travail

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

L’apprentissage par projet est souvent une excuse pour « étoffer le portfolio » des étudiant‧es sans que les écoles ne les aiguillent plus que ça dans ce que cela signifie, ou une manière d’apprendre à produire « comme dans l’industrie » sans aucune supervision pédagogique, et donc sans avoir de retours sur l’adéquation entre leur apprentissage et la réalité de l’industrie. Cet état de fait, très largement généralisé dans les écoles de jeu vidéo, s’explique d’une manière relativement simple : les écoles de jeu vidéo ne préparent pas les étudiant‧es à l’entrée sur le marché du travail.

Cela commence déjà par l’inadéquation entre le nombres d’étudiant‧es et le nombre de postes existants. Il nous paraît important de marteler que les filières jeu vidéo forment plus de personnes qu’il n’y a d’emplois. Si cela est vrai dans la quasi totalité des spécialités, ça l’est d’autant plus dans certaines filières comme le game design, ou dans les filières qui exploitent l’attrait pour les spécialités émergentes, comme en ce moment le narrative design.

En particulier, la plupart des promotions sont très déséquilibrées au niveau des spécialités proposées, en étant souvent composées à 50% de game designers et autres spécialités de design. Hors il y a relativement peu de postes à pourvoir dans ces spécialités dans l’industrie française et à l’international. Ces incohérences avec le marché du travail forcent les étudiant‧es à se sur-spécialiser, à acquérir une double compétence par leurs propres moyens, voire même à se réorienter complètement ou à laisser tomber l’idée de travailler dans le jeu vidéo pour pouvoir espérer trouver un emploi.

Car, même dans la meilleure des écoles, rien ne garantit aux étudiant·es qu’iels trouveront un poste dans l’industrie du jeu vidéo, s’iels en ont encore envie après avoir survécu aux conditions de leurs années d’études. Les ancien·nes étudiant·es sont nombreux·ses à faire ce constat elleux-mêmes :

« Aujourd’hui, sur une classe de 35 nous sommes peut être 7 ou 8 encore dans le JV ».

Le baromètre du Jeu Vidéo 2020 publié par le SNJV, une organisation de lobbying patronale regroupant aussi les écoles, nous apprend que 57 % des étudiant‧es trouvent un emploi dans le jeu vidéo dans l’année qui suit la fin de leurs études, ce qui est bien loin des 80-90% de placement avancés par l’extrême majorité des écoles. Ces chiffres d’emploi sur un ou deux ans, quand il y en a, sont sciemment faussés par les directions d’écoles pour impressionner : ils prennent en compte les ancien‧nes étudiant·es qui ont été poussé‧es à prendre un statut d’auto-entrepreneur sans se soucier de savoir s’iels peuvent en vivre (ce qui est rarement le cas en sortie d’école), et les emplois des ancien‧nes qui se sont réorientés vers d’autres industries.

Certaines écoles mettent même en place un chantage au chômage dès la formation, encourageant les élèves à accepter des stages qui relèvent de l’exploitation et/ou à faire des stages sans convention, insinuant qu’il faut tout accepter sans broncher pour faire des jeux vidéo. Il arrive même que certaines d’entre elles leurs fournissent de faux documents, notamment pour satisfaire les demandes (illégales) des entreprises.

Pour rappel, le stage n’est pas un contrat de travail, il n’est pas censé remplacer un poste permanent. Un suivi doit être effectué par une personne de l’équipe pédagogique, avec un entretien en cours de stage, pour s’assurer de son bon déroulé (vérifier par exemple que l’étudiant·e a un mentor, que l’entreprise lui fournit le matériel et qu’iel est dans de bonnes conditions pour travailler). Les stages sont très encadrés par la loi, cette fiche du ministère du travail regroupe les informations importantes.

Les écoles donnent régulièrement de très mauvais « conseils » à leurs étudiant‧es, les encourageant à entrer dans l’industrie en acceptant des statuts très précaires, des emplois non payés ou sous payés. Parmi les propos qui nous ont été rapportés, ces mots glaçants d’un membre d’une équipe pédagogique à destination d’une promotion entière :

« Pour se faire embaucher à coup sûr, vous prenez le statut d’auto-entrepreneur et vous demandez la moitié d’un smic horaire pour un temps plein ».

Les mensonges, explicites ou par omission, des formations privées jouent sur le côté cool de l’industrie du jeu vidéo. Elles vendent du rêve en parlant d’industrie riche, en pleine croissance et où la créativité est sans limite, alors que les étudiant·es découvriront une fois sorti·es d’école que les salaires sont bas, les postes fantasmés peu nombreux, les possibilités d’avancer dans leur carrière faibles, et que la plupart des postes sont dans des entreprises annexes à la production de jeux grand public.

Beaucoup d’entre elleux auront contracté des emprunts pour payer les prix délirants des études, qu’iels auront alors du mal à rembourser à cause de la précarité de l’industrie, des salaires trop bas, ou carrément parce qu’iels n’auront pas trouvé d’emploi. Les quelques un‧es qui arriveront à décrocher un travail dans le jeu vidéo libéreront, en se réorientant après quelques années vers des industries aux statuts et salaires plus intéressants, la place aux étudiant·es d’écoles qui inondent le marché à leur tour… Ainsi, la boucle est bouclée.

Nos interventions en école, nos discussions avec des étudiant‧es et des professeur‧es, nous ont révélé que les étudiant‧es ne sont quasiment jamais au courant des bases du droit des stages et du travail quand iels se mettent à en chercher un, parfois ne sachant même pas réellement la différence entre un statut salarié et un statut auto-entrepreneur. Ces lacunes montrent un manque d’enseignement, car les étudiant·es devraient être préparé‧es pour pouvoir se défendre à la sortie d’école, ne serait-ce que pour leur permettre de connaître les différents statuts de travail et reconnaître un contrat abusif… Il est essentiel que le droit du travail et les notions économiques liées au salaire fassent partie intégrante de la formation de tout organisme d’enseignement supérieur.

La qualité d’enseignement reste très discutable

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

Si les étudiant‧es se sentent coupables de faire de la publicité pour leurs écoles, ça n’est pas uniquement à cause des conditions dégradées et de l’exploitation, mais aussi parce que, bien souvent, l’enseignement qui leur est dispensé n’est pas de bonne qualité. Difficile de vanter les mérites d’une formation à la pédagogie hasardeuse voire inexistante, et dont l’intérêt s’estompe au fur et à mesure des années. D’autant plus lorsque les plaquettes des écoles vantent souvent des heures de cours bien supérieures à celles réellement dispensées, avec des enseignements tout bonnement inexistants dans la formation.

Les unités d’enseignement dispensées, majoritairement techniques au détriment des autres savoirs, apprennent néanmoins très souvent aux élèves des technologies et méthodes obsolètes dans l’industrie en plus de n’avoir, dans la plupart des cas, aucune structure pédagogique. Car la grande majorité des écoles n’allouent tout simplement pas ou très peu de moyens à la cohésion et au suivi pédagogique. Ce manque de moyens conduit à un manque de communication entre les professeur‧es, à l’absence de programme stable, et à un manque de cohérence entre les matières. Des matières qui gagneraient à être enseignées en parallèle ne le sont pas et le nombre de projets est multiplié car chaque matière en demande un spécifique au lieu de regrouper différents travaux en un seul projet, participant ainsi au surtravail des élèves.

Des intervenant·es nous ont témoigné avoir été embauché·es puis envoyé·es devant des classes sans que la direction pédagogique dont iels dépendent ne leur ait fournit aucune indication de programme, préparation ou même simples conseils. Le turn-over, très important, des professeur‧es et de l’équipe pédagogique empêche tout suivi d’une année à l’autre et mène à des situations absurdes où les mêmes cours sont dispensés deux années de suite, à la même classe, avec deux intervenant·es différent·es. Pour palier à ces manques, il arrive que des étudiant·es ou intervenant·es s’occupent de la coordination pédagogique à la place de leur école, mais iels ne sont ni formé·es ni payé·es pour ce travail supplémentaire. Et les directions pédagogiques ne facilitent pas ce travail : on nous les décrit comme opaques, ne communiquant ni avec les étudiant·es ni avec les intervenant·es. « Avoir des réponses à nos mails est un véritable parcours du combattant. » nous disent les étudiant‧es de nombreuses écoles.

Comme pour enfoncer le clou, ces problèmes s’aggravent avec les années. Plus les années avancent et plus les écoles privilégient le soi-disant « apprentissage par projets », qui leur permet de laisser les élèves se débrouiller sans professeur‧e, parfois jusqu’à ce que des années de Master n’aient, dans les faits, aucun cours. L’adoption massive de ce mode de non-enseignement, outre faire économiser de l’argent aux écoles en rendant les dépenses liées au suivi de la formation inutiles, n’a aucune qualité pédagogique, pousse les élèves au burnout, creuse les inégalités et fait émerger de nombreux problèmes exposés dans les parties précédentes.

Mobilisations du 5 Octobre 2021 : appel à la grève dans le jeu vidéo

Si elle a pu sembler être mise en pause lors de l’épidémie de Covid-19, le gouvernement n’a jamais abandonné sa politique de destruction du système de santé français et des infrastructures sociales qui permettent de soutenir la majorité des travailleur‧ses et personnes sans emploi, qu’elles en cherchent un ou soient à la retraite. Au contraire, la pandémie est devenue un prétexte à une politique d’austérité annoncée, pour reprendre et continuer cette politique destructive.

La mise en application des derniers éléments de la réforme de l’assurance chômage va continuer à appauvrir des centaines de milliers de personnes, tandis que les aides d’état diminuent toujours plus, en particuliers les aides directes pour les jeunes. Si les files d’attente de personnes précaires qui cherchent de la nourriture existent toujours, les aides d’états pour les nourrir ont disparues.

Le retour de la réforme des retraites, défaite début 2020 par un grand mouvement social auquel le STJV avait pris part activement, a dors et déjà été annoncé. Avec leur volonté de toujours plus reculer l’âge de départ à la retraite, le patronat montre encore une fois qu’il n’a aucun scrupule à voir les travailleur‧ses mourir au travail ou vivre dans la misère dans leur grand âge et que, au contraire, ce ne sont pour elleux que des effet collatéraux nécessaires au développement de leur propre capital.

Il n’y aucun doute que le gouvernement va se servir de ces contre-réformes pour ses ambitions présidentielles. La campagne qui commence et l’élection de 2022 vont voir nos droits et nos libertés débattues et négociées, une majorité de candidat‧es n’ayant qu’un seul souhait : les réduire. Sans attendre d’analyser les programmes pour savoir qui voudra bien laisser des miettes aux précaires, aux jeunes, aux retraité‧es et aux travailleur‧ses, nous devons prendre les devant et imposer des demandes claires.

C’est pourquoi nous réclamons plus de justice sociale, une vraie lutte contre la pauvreté et une amélioration des services publics. Nous rejoignons les demandes exprimées par l’intersyndicale CGT- FO – FSU – Solidaires – FIDL – MNL – UNEF – UNL :

  • L’augmentation des salaires ;
  • l’abandon définitif des contre-réformes des retraites et de l’assurance chômage ;
  • un vrai travail avec un vrai salaire pour toutes et tous et l’égalité professionnelle femmes/hommes ;
  • la conditionnalité des aides publiques selon des normes sociales et environnementales permettant de préserver et de créer des emplois ;
  • l’arrêt des licenciements et la fin des dérogations au Code du travail et garanties collectives ;
  • un coup d’arrêt à la précarisation de l’emploi et à la précarité des jeunes en formation et une réforme ambitieuse des bourses ;
  • la fin des fermetures de services, des suppressions d’emplois, du démantèlement et des privatisations dans les services publics et la fonction publique et le renforcement de leurs moyens ;
  • le rétablissement de tous les droits et libertés pour la jeunesse comme pour le monde du travail.

Le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo rejoint donc ces organisations en appelant à la grève le 5 Octobre 2021, et appelle les travailleur‧ses, chômeur‧ses, retraité‧es et étudiant·es du jeu vidéo à se mobiliser dans leurs entreprises, dans les assemblées générales et dans les manifestations qui auront lieu partout en France.

Nous rappelons que cet appel couvre le champ d’action du STJV dans le secteur privé, et concerne donc toute personne employée par une société d’édition, de distribution, de service et/ou de création de jeu vidéo ou matériel pour le jeu vidéo quel que soit son poste ou son statut et quel que soit le type de production de sa société (jeux consoles, PC, mobile, serious games, expériences VR/AR, moteurs de jeu, services marketing, consoles de jeu, streaming, etc.), ainsi que tout·es les enseignant·es travaillant dans des écoles privées dans des cursus en lien avec la production vidéoludique. Pour toutes ces personnes, et puisqu’il s’agit d’un appel national à la grève, aucune démarche n’est nécessaire pour se mettre en grève : il suffit de ne pas venir travailler les jours où vous souhaitez faire grève.

Les étudiant‧es sont exploité‧es au profit de l’image des écoles

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

Ces conditions d’études dégradées sont d’autant plus difficiles à identifier quand les écoles luttent activement contre leur ébruitement, au lieu de lutter contre les problèmes eux-mêmes, et essaient d’étouffer toute affaire. Quitte à empirer la situation pour les victimes et les mener à quitter leur formation. Les articles revenant sur les faits de discriminations et harcèlements parus dans Libération et Gamekult illustrent bien l’attitude des écoles quand elles sont confrontées à de tels problèmes. Depuis la parution de ces articles, des retours internes à plusieurs écoles font état du silence imposé par les directions pédagogiques sur leur contenu. Les publications d’un article et de notre communiqué, cité en introduction de ce dossier, sur le suicide d’un étudiant à LISAA, avaient déjà donné lieu à une suppression de la parole dans cette école.

Cette répression intolérable a de nombreuses causes mais, au niveau structurel, la principale serait sûrement la dépendance de ces écoles à leur image publique. Car leur rentabilité dépend de leur notoriété auprès des personnes souhaitant y entrer et auprès des entreprises, de manière à pouvoir y « placer » les étudiant·es qui en sortent (et ainsi utiliser ces placements comme arguments auprès de futur·es étudiant·es, bouclant la boucle). Cela pousse les directions d’écoles à exploiter les étudiant‧es pour leur propre profit.

On va voir notamment des écoles s’occuper en priorité des étudiant·es qui peuvent améliorer leur image, et donc des personnes considérées comme «doué·es» dans le référentiel économique actuel. En plus de creuser les inégalités, les moyens étant redirigés vers les élèves qui en ont le moins besoin au détriment de celleux qui en ont le plus besoin, cela participe à la dégradation des relations entre élèves, certains causant du tort aux autres par esprit de compétition, ou par jalousie. Le tout sous les yeux des directions, qui vont jusqu’à protéger les agresseurs pour entretenir la réputation de leur établissement. On nous a ainsi rapporté des cas d’élèves en ayant agressé sexuellement et/ou harcelé d’autres ne pas subir de sanctions car cela aurait pu « nuire à la qualité » des projets de fin d’études.

Ces projets étudiants sont en effet utilisés comme des objets marketing, permettant de promouvoir l’école avant tout. Le vol du travail des étudiant‧es par leurs organismes de formation est une pratique courante : copiant l’industrie du jeu vidéo, les contrats des écoles incluent des clauses de cessions des droits d’auteur à leur avantage. Bien que systématiquement illégales, puisqu’il est absolument impossible de céder des droits sur des œuvres futures, qui n’existent pas encore, l’existence de ces clauses va permettre aux écoles de faire jouer leur ascendant sur les étudiant‧es pour prétendre à l’utilisation de leurs travaux pour faire leur propre publicité. À titre d’exemple : la cérémonie des Pégases, qui décerne un prix (déjà problématique en soi) pour les projets étudiants, attribue la parentalité de ces projets non pas aux étudiant‧es elleux-mêmes, mais à l’école dont iels viennent. Les étudiant‧es ne sont pas considéré·es comme les auteurices de ces projets.

Comme si cela ne suffisait pas, les élèves sont souvent forcé‧es, ou dans les meilleurs cas « très fortement invité‧es », à travailler pour faire la promotion de l’école lors des journées portes-ouvertes et autres salons. Ce travail non rémunéré permet aux écoles de feindre la transparence auprès des visiteur‧ses, en leur permettant de discuter « librement » avec des personnes étudiant actuellement dans l’école. Dans la réalité, les élèves sont souvent présents pour gagner des points bonus ou carrément parce que la promotion de l’école compte comme une unité d’enseignement à valider. Les écoles leurs fournissent des éléments de langages et surveillent ce qu’iels disent, plusieurs témoignages rapportant le malaise et la culpabilité ressentie par des étudiant‧es forcé‧es de mentir pour convaincre des lycéen‧nes de s’inscrire dans une école où elleux-mêmes se sentent mal.

Enfin, l’exploitation des étudiant‧es peut être très littérale quand les écoles se servent d’elleux comme main-d’œuvre servile et bon marché. Car même lorsque des élèves travaillent pour l’école dans un cadre légal, ce qui est rarement le cas, la double relation de subordination travailleur‧se/étudiant‧e avec l’entreprise permet aux écoles d’utiliser le statut étudiant pour faire pression sur les conditions de travail et la rémunération, sans contrôle extérieur possible.

Dans les témoignages recueillis, nous avons pu constater que des écoles exploitent des élèves pour remplacer des unités d’enseignement, en les faisant travailler par exemple sur des contrats avec des entreprises privées « pour les préparer au monde professionnel », ou même comme « professeur‧es » en confiant des séances de travaux pratiques ou cours de première année à des étudiant‧es des années supérieur‧es. Les cas de travail illégal d’étudiant‧es, sans contrat et avec des « rémunérations » variables (bons cadeaux, réduction sur le coût de l’école, etc.), ne sont également pas rares. On nous a rapporté entre autres des cas d’écoles qui utilisent les étudiant‧es comme gardien·nes pour maintenir les locaux ouverts la nuit et le week-end, sans aucune supervision, ou en remplacement du service informatique en leur confiant la charge de l’entretien des ordinateurs de l’école et de l’installation des versions piratées de logiciels.

Le jeu vidéo français n’a pas à être une tribune de l’extrême droite

Il y a quelques jours, l’éditeur français Microids, qui produit de nombreux jeux à licence comme le prochain opus de la série Syberia, annonçait un partenariat avec le Puy du Fou pour produire un jeu vidéo sur ce parc à thème. Nous dénonçons ce partenariat et nous opposons à l’existence d’un tel jeu, qui pour nous constituerait un précédent dangereux dans notre industrie, en normalisant la présence d’une marque ayant de forts liens avec l’extrême-droite et participant activement à une propagande nationaliste.

Si le parc présente une image familiale et bon enfant, il est important de se pencher sur le contenu de ses spectacles. Basés sur le concept de roman national, qui postule que l’histoire d’un pays serait une ligne continue depuis des millénaires, comme s’il avait toujours existé, ils vantent et magnifient la « France » pré-révolutionnaire, monarchique et féodale. Son spectacle principal et le plus connu, la Cinéscénie, présente une vision uniforme de l’histoire, en y effaçant les minorités religieuses et occultant complètement les rapports de domination économique et sociale entre nobles et paysans. Leur vision manichéenne de l’histoire atteint son paroxysme quand ils évoquent la Révolution Française, présentée dans un pur révisionnisme comme un événement totalitaire et barbare contre lequel les vendéens royalistes se seraient bravement défendus.

Cette vision passéiste, qui met en opposition la monarchie et le féodalisme, présentés comme une période heureuse et naïve de l’histoire, et la Révolution Française, présentée comme sombre et comme cause d’un « déclin français », est dangereuse. Par son discours contre-révolutionnaire, elle propage des idées nationalistes qui vont à l’encontre des acquis sociaux et de nos libertés, et font la promotion d’une société inégalitaire.

Ces critiques ne viennent pas de nulle part, et se basent sur les travaux et dénonciations de nombreux historiens et personnalité politiques. Pour celleux qui voudraient aller plus loin, on peut notamment citer Jean-Clément Martin et Charles Suaud, Michel Vovelle ou encore cet article de Guillaume Mazeau.

Cet état de fait est moins surprenant quand on se penche sur la famille qui a créé et dirige le Puy du Fou. Ce parc est le fruit de Philippe de Villiers, personnalité politique d’extrême-droite proche des milieux fondamentalistes catholiques, qui a lui-même reconnu la portée militante du parc dans une interview pour le défunt magazine France, publication d’extrême-droite créée par Damien Rieu (figure de la droite identitaire et candidat du Rassemblement National) : «Par mes livres ou mon Puy du Fou, j’ai fait passer beaucoup plus d’idées qu’en restant la énième écrevisse de la bassine» [propos rapporté par Libération ici].

Ses liens avec l’extrême-droite internationale l’ont ainsi amené à essayer d’ouvrir des parcs similaires en Russie et en Crimée occupée, avec l’appui personnel de Vladimir Poutine et de Konstantin Malofeev, un militant royaliste et fondamentaliste religieux proche du président russe accusé d’avoir personnellement financé des groupes armés pro-russes en Ukraine. Si tout cela ne suffisait pas, le Puy du Fou abrite aussi une école hors-contrat à l’organisation traditionaliste et militariste, et finance une fondation anti-IVG liée à l’organisation anti-LGBT « Manif pour tous ».

Nous ne pouvons que déplorer l’association de Microids avec une telle organisation, qui ne ferait à notre sens qu’aider le Puy du Fou à étendre sa présence médiatique, lui permettant de diffuser sa propagande plus largement. La sortie prévue du jeu, au printemps 2022, ferait également coïncider la campagne de communication autour de celui-ci avec la campagne pour les élections présidentielles françaises, ce qui n’arrange rien au problème. Nous demandons à Microids de revenir sur ce partenariat.

Quantic Dream contre Le Monde et Médiapart : sous l’esbroufe, les faits

Précisions ultérieures à la publication de notre article : le jugement a débouté Quantic Dream de toutes ses demandes, contre Médiapart ET contre Le Monde, reconnaissant la qualité du travail des journalistes des deux publications. Guillaume de Fondaumière et David de Gruttola (connu sous le nom de David Cage) ont perdu contre Médiapart et gagné, en tant qu’individus, contre Le Monde, le journal n’ayant pas produit les témoignages qu’il avait dans le but de protéger les victimes.

En juin dernier, le STJV a témoigné au tribunal en faveur des journalistes de Médiapart et du Monde, face aux accusations en diffamation de l’entreprise Quantic Dream. Cela répondait à plusieurs intérêts : tout d’abord celui d’aider des journalistes qui informent sur, et rendent visibles, les problèmes de nos industries et plus généralement de notre société, qui se retrouvaient au cœur de ce que nous considérons comme une procédure-bâillon, et ensuite défendre la liberté de s’exprimer sur ses conditions de travail, vitale pour tou‧tes les travailleur‧ses.

Aujourd’hui, le 9 Septembre 2021, nous avons appris avec plaisir la victoire de Médiapart contre Quantic Dream, qui a été débouté de ses accusations en diffamation contre le journal. La justice a reconnu le sérieux et la bonne foi du travail des journalistes. Toutefois, Le Monde a été condamné. Il faudra disposer des motivations exactes de l’arrêt pour comprendre cette inquiétante asymétrie, mais il s’agit là d’un recul pour la liberté d’expression et la parole de toutes les victimes de sexisme, harcèlement sexuel et de manière générale de conditions de travail déplorables, au bénéfice d’un patronat qui emploie toutes ses ressources pour faire taire toute accusation.

Nous souhaitons partager nos analyses sur ce qui a pu transparaître au cours des audiences, et sur le résultat de ce procès. Ces retours nous viennent de notre représentant‧e au procès, ainsi que de comptes-rendus des audiences.

L’hyperpersonnalisation des problèmes

Nous constatons que beaucoup des arguments de Quantic Dream ramènent en fait à des considérations personnelles (« je n’avais jamais vu de photomontages scandaleux avant l’affaire », « je ne comprends pas les articles, pour moi tout va bien », « j‘ai du mal à pardonner », « je connais à peine Canard PC, c’est pour ça qu’on ne les poursuit pas », « je n’ai de compte à rendre qu’à la justice, le fisc [et autres institutions] », …), notamment quand les patrons du studio s’acharnent à penser que la seule raison pour laquelle un‧e journaliste pourrait vouloir écrire un article les accusant d’entretenir une culture d’entreprise toxique serait une inimitié personnelle.

Or, bien que les affinités personnelles puissent contribuer à des problèmes au sein des entreprises, il est évident que tout n’en relève pas. Une personne qui lutte pour faire valoir ses droits n’en veut pas forcément au patron personnellement, il s’agit avant tout de faire respecter des engagements qui ne l’ont pas été. De même, le STJV, en tant que syndicat, n’entretient pas de rancunes personnelles : lorsque nous défendons une personne contre son employeur, nous le faisons car le respect de nos droits à toutes et tous est une affaire qui nous concerne collectivement.

L’ignorance affligeante des patrons sur tout ce qui sort de leur sphère

Un moment de bravoure de ce procès aura été cette question de l’avocat de Quantic Dream à notre représentant‧e : « avez-vous effectué du travail pour Médiapart [en leur expliquant la situation de l’industrie, et en leur fournissant des contacts] ? ». Nous n’avons pas à nous en cacher : la réponse est oui. Nous fournissons un travail constant, issu de la mise en commun des moyens de travailleur‧ses bénévoles, au service des travailleuses et travailleurs du jeu vidéo. Nous n’avons pas besoin de journalistes de complaisance pour ça, juste de leur communiquer les réalités du terrain, que nous connaissons bien.

Le complotisme n’est pas toujours où on le croit

De cette hyperpersonnalisation et ignorance au complotisme de bas étage, il n’y a qu’un pas, franchi avec aisance ici. L’obsession de Quantic Dream de parler des dégâts qui auraient été subis suite à ces articles illustre une vision hors-sol du monde, où tout est dû à David de Gruttola et Guillaume Juppin de Fondaumière. Et le terme de complotisme n’est ici pas usurpé : c’est bien le même mécanisme de rejet de la réalité qui amène ces personnes aisées et extrêmement favorisées à chercher des tourmenteurs fictifs, ou encore à vouloir effacer toute critique, même légitime et sourcée.

Les enseignements du verdict

La cour a reconnu la bonne foi et le sérieux du travail fourni par les journalistes de Médiapart. Rappelons tout de suite que dans ce cas, la justice ne se prononce pas sur la véracité du contenu des articles, dans un sens comme dans l’autre. La direction de Quantic Dream ferait donc bien d’éviter de prétendre être lavée de tous soupçons, alors même qu’elle a été déboutée de ses demandes. Ce jugement confirme que le travail des journalistes dans cette affaire était légitime, et mené dans toutes les conditions de professionnalisme et de prudence requises. Rappelons également que ce jugement reconnait bien l’absence d’animosité personnelle, angle qui était pourtant central à l’accusation de Quantic Dream. Il serait grand temps désormais pour la direction de Quantic Dream de mettre fin à ses manœuvres de communication et d’intimidation.

Nous restons choqué de la condamnation du Monde, pour laquelle il nous faudra de plus amples informations pour comprendre cet étrange verdict, tant les accusations de rancune personnelle nous semblaient faibles. Nous reviendrons sur ce jugement ultérieurement.

Dans cette affaire comme dans l’immense majorité de celles où nous accompagnons des travailleur‧ses en justice, les témoignages et la parole publique ne sont pas des actions prises à la légère. Dans cette affaire comme dans tant d’autres, il s’agit simplement du dernier recours de personnes ignorées ou réduites au silence. Plus que jamais, le STJV est donc déterminé à réduire la dissymétrie de moyens inhérente aux conflits entre employé‧es et patron‧nes, en soutenant les personnes ayant à se défendre face à des entreprises déployant l’ensemble de leurs richesses pour cacher leurs fautes plutôt que pour régler les problèmes existants, en parlant aux journalistes qui produisent ces enquêtes détaillées et circonstanciées, et en défendant nos droits à toutes et tous en témoignant au tribunal.

Les conditions d’études sont très souvent dégradées

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

Avertissement : Dans cet article nous abordons des situations d’abus, harcèlements, agressions, suicide, etc. qui peuvent être violentes à la lecture pour des personnes qui en ont été victimes.

Tout d’abord, et à l’image de l’industrie du jeu vidéo, les conditions d’études dans les écoles et formations de jeu vidéo sont mauvaises. Si elles varient d’une école, d’une formation et d’une année à une autre, elles en viennent à impacter chaque étudiant‧e au cours de sa scolarité.

Rien qu’au niveau matériel, le STJV a pu recenser de nombreux défauts : du matériel informatique et du mobilier de bureau obsolète ou cassé, parfois tout simplement non fourni, accentuant les différences entre élèves, les plus aisé‧es ayant accès à du matériel personnel leur permettant de travailler, tandis que les plus pauvres doivent se démener avec le peu qu’on met à leur disposition. Certaines écoles vont jusqu’à mentir lors des journées portes-ouvertes (JPO) : on nous a rapporté des cas d’écoles qui louent du matériel récent uniquement pour les JPO, dans le but d’impressionner parents et futur‧es élèves. Ailleurs, des infrastructures souffrant d’un taux d’humidité important, d’une mauvaise aération ou n’ayant carrément pas de chauffage nuisent directement à la santé des élèves.

Bien que cela semble commencer à être moins courant, de nombreuses écoles ne fournissent pas de licences pour les logiciels nécessaires aux cours. L’installation de logiciels crackés (piratés) sur les ordinateurs de l’école ou directement sur ceux des étudiant‧es est une pratique maintes fois abordée par les témoins. Comme dans ce témoignage d’un‧e ancien‧ne étudiant‧e d’ISART Digital :

« Un des passages obligatoires avant la rentrée scolaire consistait à apporter son PC personnel au service informatique de l’école, pour que celui-ci installe plusieurs versions crackées de logiciels -normalement payants- dessus. »

Comme rapporté en détails dans les premiers articles publiés chez Gamekult et Libération, la charge de travail est bien trop élevée dans les formations de jeu vidéo et d’animation, copiant ainsi les pires travers (le « crunch ») que l’on peut trouver dans l’industrie. Le manque de coordination pédagogique entraîne une accumulation de projets qui ne peuvent être réalisés et rendus dans des conditions normales et les dates de rendu choisies (juste après des weekends ou vacances) poussent au surtravail. Quand ce ne sont pas les directions pédagogiques elles-mêmes qui poussent les étudiant‧es à se tuer au travail : nous avons pu consulter de nombreux mails et messages envoyés à des élèves dans lesquels iels sont poussé‧es à travailler toujours plus, et où les nuits blanches de travail sont présentées comme la norme, ou même un idéal à atteindre.

Les attentes en terme de qualité et de quantité sont aussi bien trop élevées, et dépassent ce qu’il serait normal d’attendre d’étudiant‧es en plein apprentissage. Les écoles et professeur‧es les poussent autant que possible à « produire » des projets d’études qui prennent la forme de produits finis. L’aspect pédagogique des exercices passe complètement au second plan : ne compte plus que la marketabilité des projets (et donc du travail gratuit des étudiant·es), sans se soucier des conséquences sur les conditions d’études et de vie. Le surtravail est mauvais pour la santé, physique ET mentale, et est particulièrement dangereux à un âge de construction sociale et intellectuelle.

Sur le plan de la sociabilisation durant les études, les mêmes gros points noirs ont été retrouvés dans chacune des formations pour lesquelles nous avons reçu des témoignages. Sexisme, racisme, homophobie, transphobie et toutes autres sortes de discriminations basées sur l’identité, la culture, le lieu de vie, le handicap, la santé, etc. des étudiant‧es sont présentes partout, à divers degrés. Sous couverts de « blagues » s’installe de manière récurrente une atmosphère rappelant à toute personne sortant de la norme de l’industrie qu’elle n’est pas la bienvenue. Et cela va parfois jusqu’à des discriminations sur les notes et les passages en année supérieure. Les faits de harcèlement, commis par des élèves, professeur‧es, intervenant‧es et/ou les directions, ne sont pas rares et poussent chaque années des étudiant‧es à abandonner leurs études, dans la dépression ou, dans des cas plus rares et plus extrêmes, au suicide. Les deuxièmes articles publiés par Libération et Gamekult abordent le cas du sexisme de manière plus approfondie.

Ces exactions sont notamment rendues possibles par l’absence, bien trop courante, de suivi des étudiant‧es. Le manque de temps et de moyens alloués au corps professoral en est en partie responsable, et cette situation est causée par l’inaction de directions qui considèrent tout ce suivi comme « annexe », niant que la vie étudiante fait partie intégrante des cycles d’études. Des écoles vont jusqu’à considérer que tout ce qui se passe en dehors des rendus de projets et notes ne les concernent pas : cela a parfois déjà été dit explicitement à des professeur·es et étudiant·es. Cela leur permet de balayer la réalité et la responsabilité directe des écoles dans la vie des étudiant·es, que ce soit leurs besoins personnels (handicap, situation sociale, santé, précarité financière, et.) et leurs relations avec les autres étudiant·es (sur les réseaux sociaux, entre les cours, dans des soirées et événements, …). Les conséquences de cette déresponsabilisation sont terribles, menant des étudiant·es au suicide quand la direction de leurs écoles ignore délibérément les signalements répétés de campagnes de harcèlement ou d’agressions.

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