Les conditions d’études assurent la reproduction des problèmes de l’industrie

Cet article est une sous-partie d’un grand dossier sur les études de jeu vidéo publié par le STJV. Vous retrouverez le sommaire de ce dossier, et les liens vers toutes ses parties, ici : https://www.stjv.fr/2021/09/dossier-sur-les-etudes-de-jeu-video/

L’absence de questionnement des méthodes de l’industrie et d’apprentissage d’un recul critique, conjugué à l’énorme porosité entres les enseignant·es et l’industrie, conduit à la reproduction au sein des écoles des mêmes problèmes que dans l’industrie. Un grand nombre d’entre elles en viennent même à les considérer comme normaux pour l’industrie et invitent leurs élèves à les intégrer dans leur organisation de travail et leurs comportements. Élèves qui vont ensuite rejoindre l’industrie du jeu vidéo et y agir de la même manière, assurant ainsi la reproduction de tout ce qui ne va pas dans celle-ci.

Les premiers articles de Libération et Gamekult reviennent longuement sur la pratique du crunch dans les écoles, à raison. Même dans les écoles qui font le plus d’efforts pour limiter la charge de travail, il est attendu des étudiant‧es qu’iels fassent des semaine de 60 heures ou plus de travail. Et c’est sans compter les piscines, des périodes de travail très intensives qui portent des noms variées comme workshop , semaine intensive, semaine projet, etc., ou les rendus de projets, qui donnent lieu à des périodes de travail très chargées sans aménagement. Les dates de rendu de ces projets tombent très souvent juste après des weekends et vacances, avec l’idée implicite que ces périodes de repos vont en fait être utilisées pour faire de très longues journées (et nuits) de travail jusqu’à la dernière minute avant le rendu. Il n’est pas rare que les directions pédagogiques valorisent les nuits blanches et les projets ayant des tailles bien supérieures à ce qui est gérable par les élèves, comme nous avons pu le constater à de nombreuses reprises par des mails et messages envoyés aux étudiant‧es. Cette charge de travail bien trop élevée a, comme partout ailleurs, des conséquences graves sur la santé et la vie sociale. Nombre d’étudiant‧es sont déjà épuisé·es en sortie d’études, avant même d’avoir travaillé en entreprise.

La multiplication des heures de travail est par ailleurs souvent encouragée, de manière indirecte, par les horaires d’ouverture des locaux. Il n’est pas rare que les locaux d’école soient ouvert aux étudiant·es jusque très tard le soir et le weekend et, dans les cas extrêmes, peuvent même ne jamais fermer. Si l’accès aux locaux est important pour que les étudiant‧es aient accès au matériel de l’école, notamment pour celleux n’ayant pas les moyens de s’équiper personnellement en matériel coûteux, les dérives qui en découlent sont inadmissibles. Systématisme des ouvertures, clefs des locaux fournies aux élèves, directeurs pédagogiques présents sur les lieux pour encourager les groupes de projet : quand une école explique qu’il est possible de travailler la nuit à l’école, elle banalise une pratique anormale, que les étudiant‧es incorporent à leur processus de travail.

Les discriminations de toutes sortes sont également très répandues dans les écoles de jeu vidéo. Sexisme, racisme, validisme, LGBTIphobies, et tout autre forme de discrimination sont monnaies courantes, reflétant le présent de l’industrie du jeu vidéo, et forgeant son futur. De très nombreux témoignages reçus parlent de discriminations et harcèlements subis au cours des études, allant jusqu’à pousser des élèves à arrêter leurs études ou, pire, à mettre fin à leurs jours. Les deuxièmes articles publiés sur Libération et Gamekult reviennent au travers de nombreux témoignages sur ces discriminations et sur l’inaction des directions d’écoles, quand elles ne sont pas elles-mêmes à l’origine de celles-ci.

Car les écoles ont beaucoup à faire pour arrêter de discriminer les étudiant‧es. Et ce dès la sélection d’entrée, puisqu’il nous a été rapporté à plusieurs reprises que des écoles ont sciemment mis de côté des candidatures de personnes handicapées et/ou LGBT, considérant que les intégrer à l’école serait « trop compliqué » et que « ça pose des problèmes ». Cette pratique intolérable et bien sûr illégale montre que les problèmes commencent avant le début des études, mais ils ne s’arrêtent bien sûr pas là. Les personnes handicapées, souffrant de maladie chroniques ou, de manière générale, qui ont besoin d’une adaptation des environnements et rythmes d’études, temporairement ou de manière permanente, font quasi systématiquement face à un mur : les écoles attendent d’elles qu’elles s’adaptent ou qu’elles quittent l’établissement. Celleux qui essaient de faire part des discriminations subies aux administrations ne sont au mieux pas écouté·es, au pire voient leur parole minimisée, remise en cause, ainsi que leur avenir au sein de l’école.

S’exprimer de manière isolée n’est en effet pas toujours sans conséquence. Trop souvent, les auteur‧ices de discriminations (professeur‧es, administratif‧ves, étudian‧tes) sont protégé‧es par les directions pédagogiques qui n’imposent aucune sanction, mettent à l’écart les victimes au lieu de les protéger, etc. De nombreuses directions pédagogiques participent activement à la discrimination de cette manière, mais aussi en étant acteur direct de celles-ci. Les témoignages de directeur‧ices pédagogiques expliquant aux femmes qu’elles n’ont pas leur place dans le jeu vidéo, à des personnes handicapées qu’elles doivent s’adapter à l’industrie et non l’inverse ne sont pas si rares, certaines écoles en viennent même à refuser des validations d’année sans justifications tangibles, autres que la pure discrimination. Les cas de favoritisme au détriment de personnes marginalisées et/ou qui s’expriment sur les problèmes des écoles sont également légion.

On trouve également dans les écoles beaucoup de sexisme venant de professeurs hommes envers des étudiantes, et bien trop souvent des professeurs qui utilisent l’ascendant que la relation élève/professeur leur donne pour tenir des propos malvenus ou entretenir des relations sexuelles ou romantiques asymétriques et abusives avec des étudiantes, sans subir de conséquences. Ces comportements de prédation envers des femmes plus jeunes et plus vulnérables par leur position hiérarchique rappellent les comportements qu’on peut constater en entreprise et dans les cercles de socialisation de travailleur‧ses du jeu vidéo. En école ils sont facilités, entre autres, par le manque de préparation et de formation des intervenant‧es, qui ne sont parfois même pas conscients de la potentielle dangerosité de cette relation élève/professeur, et pensent qu’iels peuvent se comporter avec les étudiant‧es comme s’iels étaient leurs ami·es.

Il arrive aussi souvent que les étudiant‧es suivent à leur tour les exemples toxiques de leurs professeur‧es, et perpétuent des formes de discrimination et harcèlement fréquentes dans les milieux socialement homogènes, comme l’industrie du jeu vidéo. Cela arrive à l’école, mais aussi sur les réseaux sociaux et les canaux de communication entre étudiant‧es comme les serveurs Slack, Discord, etc. qui existent très souvent dans les sphères étudiant‧es et que les écoles font semblant d’ignorer pour se dédouaner. Dans un témoignage que nous avons reçu, un·e étudiant·e subit par exemple des « humiliations (de plus en plus fréquentes) sur le Discord de l’école » : des agressions transphobes, sexistes, auxquelles les membres de la direction « disaient qu’iels n’y pouvaient rien car ce n’était pas dans le cadre de l’école ».

Conditions de travail des professeur‧es dégradées

Ces constats côté étudiant‧es s’accompagnent, sans surprise quand on est un peu familier avec les conditions de travail dans le jeu vidéo et dans l’enseignement supérieur, de constats similaires côté professeur‧es : les écoles peuvent être un enfer pour les étudiant·es mais AUSSI pour les professeur·es et intervenant·es. Contrats précaires, très bas salaires, manque de temps pour préparer les cours et les corrections, peu voire pas de coordination pédagogique, pressions hiérarchiques, licenciements illégaux : les conditions de travail y sont excessivement mauvaises.

De manière encore plus disproportionnée que dans les studios de jeux et autres sous-secteurs du jeu vidéo, les professeur‧es des différents disciplines du jeu vidéo sont largement employé‧es via des contrats précaires. Contrats à Durée Déterminée ne couvrant qu’un semestre, heures de cours payées a posteriori en freelance, etc. : pour beaucoup, il est impossible de se projeter sur le suivi de leur enseignement et de leurs élèves, et encore moins sur leurs propres finances ou la construction d’une carrière. Cette précarité gêne également les professeur‧es qui voudraient améliorer les cursus, puisque les écoles peuvent simplement ne pas renouveler les contrats des personnes qui voudraient leur tenir tête.

Ainsi cette précarité sert de moyen de pression pour forcer les travailleur‧ses à accepter des conditions de travail intolérables. Les écoles de jeu vidéo proposent souvent des salaires inférieurs aux autres secteurs, qui paient déjà très mal, même en ne prenant en compte que les heures de cours. Car, pour une heure de cours, il faut aussi compter des heures de préparation, de mise en forme du cours, de correction des exercices, de discussions avec les étudiant‧es, mais aussi de transport et d’heures d’attente entre des cours (sans accès à un poste de travail). Rapporté aux nombres d’heures réelles effectuées, les salaires sont si bas qu’ils ne permettent pas de vivre.

« Quelle que soit l’expérience et la qualité de l’enseignant, si il n’est pas d’accord avec ses conditions de travail, il n’a qu’à prendre la porte à la fin de son CDD et il sera remplacé par un enseignant plus jeune qui acceptera le job et ses conditions de travail. (…) On m’a quasiment toujours fait signer mes contrats de travail après que les cours aient commencé. Faire signer les contrats très tard est aussi un moyen de pression pour les RHs. Les enseignants sont au pied du mur. »

Quand ces conditions ne sont pas acceptées par les intervenant‧es, les écoles leur mettent encore plus la pression, n’hésitant par exemple pas à recourir au chantage émotionnel en leur reprochant d’abandonner les élèves. Et s’iels ne cèdent pas, iels sont remplacé·es. Quand iels s’inquiètent des problèmes de l’école ou remontent les problèmes des étudiant‧es à leur hiérarchie, leurs plaintes et même leurs suggestions bénéfiques pour les élèves sont au mieux ignorées par les directions d’écoles, au pire réprimées par du harcèlement et des licenciements illégaux. Nos constats montrent que ce dernier point est particulièrement vrai dans les cas de discriminations, faisant des écoles des complices directs de celles-ci.

Si ces conditions de travail n’excusent pas les comportements que peuvent avoir certain‧es professeur‧es, elles peuvent les expliquer en partie, et montrent à quel point le système entier est vecteur de discriminations et d’abus. Elles expliquent également en partie la faible qualité d’enseignement, puisqu’elles ne permettent pas aux professeur‧es et intervenant‧es de rester longtemps, d’accumuler de l’expérience et de suivre les étudiant‧es d’une année sur l’autre. On peut noter encore une fois la boucle : les bas salaires de l’industrie encouragent les jeunes travailleur·ses à accepter des contrats précaires dans les écoles pour compléter leurs revenus, et ce peu importe les conditions (parfois, ironiquement, pour rembourser le prêt contracté pour payer les frais d’inscription à cette même école).

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